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UN HOMME SÉRIEUX.

— Vous avez raison, répondit Dornier après avoir écouté de son côté pendant un instant ; tenons-nous prêts, et exécutez ponctuellement votre consigne. Dominique sera seul, car bien certainement Mme de Pontailly aura gardé l’autre domestique à Saint-Denis. Dès que je serai monté dans la voiture, grimpez sur le siége, et dirigez le cocher vers la petite maison. Surtout, qu’il aille le plus vite possible.

— Soyez tranquille, monsieur Dornier ; ce sera enlevé.

La voiture s’avançait au petit trot des chevaux ; bientôt elle parut à un tournant du chemin, et un instant après elle entra dans le carrefour. Ainsi que l’avait prévu Dornier, aucun domestique n’accompagnait le cocher ; celui-ci, dès qu’il fut arrivé au lieu du rendez-vous, s’arrêta en souriant d’un air de complicité. Sans perdre de temps, Dornier ouvrit la portière, s’élança dans la voiture, et s’assit hardiment à côté d’Henriette.

— Ne craignez rien, mademoiselle, lui dit-il en même temps de sa voix la plus douce, c’est un ami véritable qui est près de vous. Quelque étrange que puisse vous paraître ma démarche, elle ne doit pas vous offenser, car votre père lui-même l’autorise.

— Que signifie cette nouvelle insulte ? s’écria la jeune fille, lorsqu’elle fut revenue de la frayeur que lui avait fait éprouver cette brusque invasion.

— Loin de songer à vous insulter, je verserais tout mon sang pour vous défendre, reprit tendrement le journaliste.

— Dominique ! cria Henriette en essayant de baisser la glace de la portière.

Dornier saisit les mains de la jeune fille.

— Vos cris sont inutiles ; je vous le répète, je n’agis que par l’ordre de votre père. Dans quelques instans, vous serez arrivée au terme de votre voyage, et alors je vous expliquerai tout.

Tandis que dans l’intérieur de la voiture Henriette continuait à se débattre contre son ravisseur, une autre scène se passait sur le siége, où, conformément aux instructions qu’il venait de recevoir, Morlot s’était lestement élancé.

— Maintenant, mon camarade, dit-il en s’asseyant près du cocher, prenez ce chemin à gauche, et ne craignez pas d’user votre fouet.

— Mes chevaux ne sont pas habitués à de si longues courses, répondit Dominique ; ils ont besoin de se reposer un peu.

— Crevez-les s’il le faut ; le patron est riche et généreux.