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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/624

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REVUE DES DEUX MONDES.

poulé, la beauté ne refuse jamais une récompense à ses défenseurs. Je réclame pour ma part un bon baiser, comme pour un père. Ce jeune homme barbu, continua-t-il en montrant Prosper, m’a raconté en route je ne sais quelle histoire de sabre turc ; c’est une affaire à arranger entre vous deux. Quant au troisième chevalier, ajouta malicieusement le marquis…

— Avant tout, voici votre baiser, s’écria la jeune fille, qui sauta au cou de son oncle pour lui couper la parole.

— Chère enfant, dit le vieillard en la serrant tendrement dans ses bras, il me semble que je ne t’ai pas vue depuis dix ans ; mais maintenant c’est moi qui serai ton gardien, et, mordieu ! que maître Dornier ne s’y frotte plus.

— À propos de ce coquin, nous sommes trois fiers étourdis, s’écria Prosper, qui brusquement se frappa le front comme pour se punir de quelque oubli important.

— Qu’est-ce donc ? demanda M. de Pontailly.

— Les cent mille francs qu’il emporte à notre barbe !

— C’est parbleu vrai ! Je n’ai pensé qu’à Henriette.

— Je n’ai pensé qu’à Henriette, répéta comme un écho muet un tendre regard du vicomte.

— En affaire d’argent, reprit le marquis, les enfans aujourd’hui ont plus de tête que les vieillards ; c’était à moi de songer à ces cent mille francs.

— À cheval, Moréal, s’écria Prosper ; il a pris de ce côté ; avant un quart d’heure, nous l’aurons rejoint.

— Il est dans le taillis, dit le vieillard, et vos chevaux ne vous serviront de rien. Laissons-le aller, on saura le retrouver ; d’ailleurs, poursuivit-il en baissant la voix de manière à n’être entendu que du vicomte, je ne serais pas très désespéré de la perte de cet argent. Cela ferait enrager ma femme et mon beau-frère, et, entre nous, ils ont besoin d’une petite leçon.

— Je le retrouverai, fût-il aux enfers ! reprit tragiquement l’élève en droit.

— Allons, la pièce est jouée, dit M. de Pontailly. Henriette, remonte dans la voiture ; je t’y tiendrai compagnie, car ce maudit cheval m’a brisé, et je crois que la pauvre bête est encore plus lasse que moi. Voilà donc ce que deviennent les hussards ! Dominique, attache Sganarelle derrière la voiture, et conduis-nous où tu sais.

Le cocher exécuta les ordres de son maître, qui pendant ce temps s’assit dans la voiture à côté de sa nièce.