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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/623

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UN HOMME SÉRIEUX.

— Dominique, reprit M. de Pontailly en se tournant vers le domestique, tu n’es pas, toi, un fameux cocher ; tant s’en faut. Tu es paresseux, menteur, et je soupçonne que tu bois en partie l’avoine de tes chevaux.

— Monsieur le marquis peut-il avoir de pareilles idées ? répondit Dominique d’un ton patelin.

— Mais il ne s’agit pas de tes défauts, reprit le vieillard ; tu m’as rendu aujourd’hui un service qui t’assure des droits à ma reconnaissance, et tu ne tarderas pas à en avoir des preuves.

— Cela vaudra mieux pour moi que de m’être fourré dans une mauvaise affaire, comme cet enjôleur croyait m’y avoir décidé. Monsieur le marquis est généreux, et j’ai déjà un bon billet de mille francs dont il ne me demandera pas compte. Quant à M. Dornier, je ne lui conseille pas de venir réclamer ses arrhes.

L’esprit agréablement occupé par la récompense promise et par le bénéfice déjà réalisé, le cocher, qui par prudence s’était montré à peu près honnête une fois dans sa vie, assembla ses guides et caressa de son fouet la croupe de ses chevaux, avec la béatitude d’un homme qui a toujours vécu en paix avec sa conscience.

— Qu’est devenue notre héroïne ? demanda le marquis à son neveu.

— Qu’est devenu Moréal ? répondit Prosper avec un sourire malicieux.

— C’est juste, reprit le vieillard riant à son tour ; pour un homme de mon âge, la question est un peu naïve.

M. de Pontailly regarda autour de lui, et aperçut de l’autre côté de la voiture sa nièce et le vicomte engagés dans une conversation si intéressante, qu’ils semblaient n’accorder aucune attention à ce qui se passait près d’eux.

— Quand mademoiselle Henriette aura un moment à sa disposition, dit-il en élevant la voix, je la prierai de vouloir bien me l’accorder.

La jeune fille se hâta d’obéir à cette invitation moqueuse, et arriva près de son oncle les yeux baissés et les joues plus roses encore que de coutume.

— Princesse persécutée, lui dit alors le marquis d’un air d’emphase, êtes-vous contente de vos chevaliers ?

— Ah ! mon cher oncle, répondit Henriette, combien je vous remercie d’avoir veillé sur moi !

— En pareille aventure, reprit M. de Pontailly du même ton am-