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UN HOMME SÉRIEUX.

tante était le prompt mariage, et qu’il vous serait à peu près égal que le ravisseur fût Dornier ou un autre.

— C’est-à-dire au contraire que je préférerais tout autre à Dornier, car je devais compter particulièrement sur l’attachement de ce malheureux, et il a montré dans cette circonstance une ingratitude épouvantable. Oui, je le répète, j’aimerais mieux marier ma fille à tout autre que lui.

— En ce cas, soyez satisfait, dit le vieillard, ce n’est pas Dornier qui a enlevé Henriette, c’est un autre.

— Un autre ! s’écria le député stupéfait, qui donc ?

— Vous le saurez tout à l’heure ; en attendant et pour en finir avec votre ancien protégé, je vais vous raconter sa dernière prouesse ; elle vous prouvera qu’en répugnant aujourd’hui à l’accepter pour gendre, vous ne faites que lui rendre justice. Dornier n’a pas enlevé votre fille, mais bien les cent mille francs que vous lui aviez confiés, ma femme et vous. J’avais prévu ce dénouement, mais la chose est faite, et il faut en prendre son parti. Depuis dix jours, Dornier a pris la fuite, et, entre nous, pour certaine circonstance à moi connue, c’est ce qu’il avait de mieux à faire ; mais un demi-coquin eût rendu l’argent : lui qui n’est pas fripon à demi, il l’a gardé, et toutes les recherches de la police, que j’ai lancée à sa poursuite, ont été jusqu’ici sans résultat. En ce moment, Dornier est, selon toute apparence, en pays étranger, et vous pouvez regarder les cent mille francs comme perdus ; mais, dans ce désastre, vous devez encore vous estimer heureux d’avoir échappé au malheur de devenir le beau-père d’un pareil homme.

— Mais le ravisseur d’Henriette ? dit avec anxiété M. Chevassu.

— Ne le devinez-vous pas ?

— Moréal !

— Hélas ! oui ; amoureux comme un fou, aimé d’ailleurs, désespéré de vos refus, craignant avec raison que vous ne forciez votre fille d’épouser Dornier, le pauvre garçon a perdu la tête ; car, comme le disait tout à l’heure avec justesse Mme de Pontailly, ce n’est pas par la raison que brillent d’ordinaire les amoureux.

— C’est sur lui qu’étaient d’abord tombés mes soupçons, dit d’un air tragique le père d’Henriette ; c’est sur lui que tombera ma vengeance.

— Permettez-moi, mon cher Chevassu, de vous répéter ici ce que vous disait tout à l’heure votre sœur, et vous-même avez été forcé de convenir qu’elle avait raison. Que gagnerez-vous à un éclat ? En