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UN HOMME SÉRIEUX.

considérations sur les avantages et les inconvéniens du système pénitentiaire en général, et en particulier sur le remplacement de la peine de mort par la réclusion en cellule à perpétuité ; car c’est là, si j’ai bonne mémoire, le titre du livre, dit le vieil émigré, qui improvisa sans hésiter ni sourire cette formidable tirade. Le sujet, comme vous voyez, ne manque pas d’importance, et d’après ce que je connais de l’ouvrage, je ne serais nullement étonné qu’il ouvrît de haute lutte à son auteur les portes de l’Académie des sciences morales et politiques.

— Le titre promet quelque chose, dit le député, complètement dupe du malin vieillard, mais vous avez beau dire, j’ai peine à croire qu’il puisse sortir rien de sérieux d’un homme qui porte des gants jaunes et une barbe de bandit napolitain.

— Haïssez-vous les gants jaunes ? Moréal choisira les siens d’une autre couleur. Est-ce sa barbe qui vous déplaît ? il la coupera. Pour obtenir votre consentement à son mariage, j’en suis sûr, il ne reculera devant aucun sacrifice. Allons, mon cher Chevassu, ne vous contentez pas d’être un homme politique distingué, soyez aussi un bon père. Que diantre ! le parti n’est pas si mauvais. Moréal a dès à présent seize bonnes mille livres de rentes. Ce mariage me plairait d’ailleurs, et je suis prêt à en donner des preuves quand on rédigera le contrat. Enfin, dernière considération qui a bien quelque importance, Moréal est allié aux familles les plus influentes de votre arrondissement. Si votre élection est cassée, chose possible, il peut décider une partie des légitimistes à voter, et vous assurer ainsi quinze à vingt voix ; il me semble que cela n’est point à dédaigner, lorsque, comme vous, on a été nommé à la simple majorité.

Cette dernière considération toucha le député plus que ne l’avaient fait tous les autres argumens du marquis.

— Pour consentir à ce mariage, dit-il, je suis obligé de faire violence à mes principes ; mais, au point où en sont les choses, le moyen de dire non ? — Vous savez où ils sont ?

— Dites-moi que vous accordez votre fille à Moréal, et aujourd’hui même je les amène tous deux à vos pieds.

— Ne viens-je pas de reconnaître que je ne suis plus libre de refuser ?

— Ce n’est pas répondre ; c’est votre parole qu’il me faut.

— Allons, puisque je suis forcé d’en passer par là, je vous la donne.

— Votre parole d’honneur ? dit le vieillard avec gravité.