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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/634

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ma parole de magistrat et de député, répondit M. Chevassu en étendant la main de son air le plus solennel.

— À merveille, reprit le marquis radieux ; maintenant attendez-moi ; avant une heure, vous embrasserez votre fille.

XXVI.

En sortant de chez son beau-frère, M. de Pontailly se fit conduire, au meilleur trot de ses chevaux, à l’hôtel de Castille, où il trouva son protégé.

— Faites votre barbe, lui dit-il pour première parole.

— Ma barbe ! fit Moréal ébahi.

— Votre barbe. Il me semble que je parle français.

— Mais, reprit le vicomte en riant, permettez-moi de vous faire observer que je porte toute ma barbe, et que par conséquent je ne la fais jamais.

— Avez-vous envie d’épouser Henriette ?

— Pouvez-vous m’adresser une telle question ?

— En ce cas, faites votre barbe, et tôt ; moustaches, royale, favoris, rasez tout.

— Parlez-vous sérieusement ? demanda Moréal, qui, quoique habitué aux façons parfois singulières du marquis, trouvait l’originalité un peu forte.

— Très sérieusement. Le sacrifice de votre barbe est une des clauses de votre mariage ; je me suis engagé en votre nom.

— Mon mariage ! Que dites-vous ? M. Chevassu consentirait-il enfin…

— Avant tout, veuillez faire ce que je vous demande.

— Mais au moins, dit le vicomte, si je vous obéis, daignerez-vous me tirer de l’inquiétude où vous me laissez depuis dix jours ? Me direz-vous où est Mlle Henriette ?

— Si, au lieu de discuter, vous étiez à l’ouvrage, dans une demi-heure vous seriez près d’elle.

Moréal se dirigea vers son cabinet de toilette avec un empressement qui fit sourire le vieillard.

— À la bonne heure ! dit celui-ci en prenant un livre sur une table, voici un volume de Châteaubriand qui me fera prendre patience, tandis que vous purgerez votre visage de cette superfluité qui choque si fort mon beau-frère.