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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/637

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UN HOMME SÉRIEUX.

le marquis de questions, mais le malin vieillard se montra inexorable à leur curiosité, et se contenta de répondre à chaque interrogation :

— Tout à l’heure. Ne voyez-vous pas que je file mon dénouement ? En entendant ouvrir la porte de son appartement, M. Chevassu s’assit sur un fauteuil dans une attitude presque aussi majestueusement sombre que dut l’être celle du premier des Brutus lorsqu’il prit place sur sa chaise curule pour condamner ses fils à mort. À l’aspect de cette formidable physionomie, Henriette, qui allait s’élancer au cou de son père, s’arrêta intimidée. M. de Pontailly sourit légèrement, et, prenant le vicomte par la main, il le conduisit près du député.

— Mon frère, dit-il, voici M. de Moréal, brave, digne et loyal jeune homme qui rendra votre fille aussi heureuse qu’elle mérite de l’être, et dont je réponds corps pour corps.

M. Chevassu accueillit par une sèche inclination de tête le respectueux salut de Moréal, adressa un regard sévère à sa fille, et retournant ensuite les yeux vers son futur gendre :

— Monsieur le vicomte de Moréal, dit-il lentement en accentuant chaque mot avec solennité, M. le marquis de Pontailly, mon beau-frère, a dû vous dire que je consentais à vous accorder la main de ma fille. En vous agréant pour gendre, il me paraît convenable de vous épargner les reproches que j’aurais le droit de vous adresser. Toute récrimination deviendrait intempestive, puisque nous allons contracter la plus sérieuse des alliances. Toutefois, monsieur, je veux vous dire, pour ne vous en reparler jamais, qu’en toutes choses la ligne droite est à la fois la plus courte et la plus honnête, que je vous eusse donné de meilleur cœur mon consentement sans l’espèce de violence que vous m’avez faite, qu’en deux mots, un enlèvement, un rapt n’est pas la meilleure porte par laquelle un homme puisse entrer dans une famille honorable.

— Un enlèvement, monsieur ! un rapt ! s’écria le vicomte ; de grace, que voulez-vous dire ?

— Mon cher beau-frère, dit M. de Pontailly, qui jugea qu’il lui appartenait d’intervenir, vous avez prononcé le grand mot, et toute comédie doit avoir une fin. Vous pouvez sans arrière-pensée de rancune donner la main à Moréal ; c’est un cœur noble et loyal, qui préférerait mille fois renoncer à la main de votre fille que de l’obtenir par des moyens condamnables. Vous pouvez également embrasser Henriette, c’est la plus candide et la plus pure enfant dont