Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/638

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
632
REVUE DES DEUX MONDES.

puisse s’enorgueillir un père. Si, dans cette chambre, il y a un ravisseur, c’est moi qui depuis dix jours, à la suite d’un petit évènement que je vais vous raconter tout à l’heure, ai placé ma nièce dans la meilleure pension de Paris, où je vais la reconduire tout à l’heure, car jusqu’à son mariage elle ne peut demeurer ni chez moi pour certaine raison que vous me permettrez de vous taire, ni près de vous, dans cet hôtel garni.

Après ce préambule, le vieillard raconta à son beau-frère l’aventure de la forêt de Montmorency. Pendant ce récit, la physionomie de M. Chevassu s’éclaircit insensiblement. Le mécontentement finit par en disparaître, mais la dignité y resta.

— Quoique je découvre que j’ai été votre dupe, je suis ravi de ce que je viens d’apprendre, dit-il d’un air presque aimable, quand le marquis eut achevé sa narration ; je vois avec plaisir que le mariage de ma fille se conclut sous d’irréprochables auspices. Henriette, embrassez-moi ; monsieur de Moréal, voici ma main.

La jeune fille se jeta dans les bras de son père, qui répondit avec un commencement de cordialité à la respectueuse étreinte de son gendre futur.

— Allons, je vois qu’il faut que j’en prenne mon parti, reprit le député du Nord en souriant de meilleure grace qu’on n’eût dû s’y attendre ; il était écrit que ma fille serait vicomtesse. Peut-être même faudra-t-il que je pardonne à M. de Pontailly le tour qu’il m’a joué ? La plaisanterie cependant a été un peu forte.

— Je vous conseille de vous plaindre, répondit le marquis avec un rire de bonne humeur ; ne vous ai-je pas donné là un gendre fort présentable ?

M. Chevassu arrêta sur le vicomte un regard d’approbation.

— Monsieur de Moréal, dit-il, je vois qu’il s’est opéré dans toute votre personne une modification, ou plutôt, permettez-moi de le dire, une réforme à laquelle je ne suis peut-être pas tout-à-fait étranger. Croyez que je vous sais gré de votre condescendance pour mes sentimens, ou, si vous l’aimez mieux, pour mes préjugés. C’est là un procédé qui me touche véritablement.

— Mon premier désir, monsieur, est de vous plaire en toute chose, répondit le vicomte en s’inclinant.

M. de Pontailly m’a dit que vous vous occupiez d’un travail de longue haleine, d’un ouvrage sur la théorie constitutionnelle envisagée au point de vue de l’économie politique ; cela est bien, monsieur ; le sujet est fort intéressant en lui-même, et un jeune homme