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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/640

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REVUE DES DEUX MONDES.

guerre lasse, il a fini par renoncer, au grand regret de son père. Il mène à Douai la vie de gentilhomme campagnard ; il fume, chasse, monte à cheval, chante des duos avec son beau-frère, fait enrager les enfans de sa sœur, ne méprise ni la bonne chère ni le beau sexe, et se complaît surtout à caresser la plus belle barbe de l’arrondissement, le tout en attendant qu’il se marie, ce qui, selon toute apparence, ne tardera pas. M. de Pontailly est toujours impétueux et jovial, sensé et railleur, ennemi de l’eau pure et de la mélancolie ; on ne saurait voir une plus verte et plus aimable vieillesse ; un seul nuage quelquefois obscurcit passagèrement son front : c’est lorsqu’il lui arrive de comparer le présent au passé et de se rappeler ses beaux jours de Berchiny-hussard. Mme de Pontailly, qui a dépassé de plusieurs années la cinquantaine, est toujours une des plus illustres femmes savantes de Paris ; mais déjà une autre passion se mêle chez elle au bel esprit : la marquise devient dévote, ce qui ne veut pas dire qu’elle ait pardonné à sa nièce et à Moréal ; elle leur garde, au contraire, à tous les deux une inflexible rancune. Quoiqu’elle n’aime guère Prosper, c’est lui qui sera son héritier ; mais M. de Pontailly, qui lit dans le cœur de sa femme, a déjà pris ses mesures pour indemniser sa nièce, plus que jamais sa favorite. Il faut avouer que le vicomte de Moréal n’a pas répondu complètement aux espérances de M. Chevassu ; aussitôt après son mariage, il a supprimé la tenue de magistrat, mais, par une sorte de compromis, il n’a laissé repousser que ses moustaches ; de plus, il fait toujours des vers et de la musique. En revanche, son Essai sur la théorie du gouvernement représentatif n’est pas encore sous presse ; aussi le député du Nord commence-t-il à désespérer de voir son gendre devenir jamais un homme sérieux. À cela près, la bourgeoisie de l’un et la noblesse de l’autre vivent en très bonne intelligence. Enfin Henriette et Fabien sont heureux, si heureux, que nous craignons que cette parfaite félicité n’impatiente un peu le lecteur, et ne jette quelque fadeur sur le dénouement de cette peu sérieuse histoire.


Charles de Bernard.