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UN HOMME SÉRIEUX.

ne peut employer ses loisirs plus utilement qu’en les consacrant à approfondir de pareilles questions. Avant de livrer votre ouvrage à l’impression, si vous pensez que mes faibles lumières puissent vous être de quelque secours, je les mets entièrement à votre service.

— Monsieur ! que de bontés ! s’écria l’économiste malgré lui, qui s’inclina de nouveau d’un air de gratitude.

— Travaillez, monsieur, ou plutôt travaillons, car j’espère que désormais nous aurons de fréquens échanges d’idées. C’est par le frottement que s’aiguisent les intelligences. Croyez-moi, plus de frivolités, plus de fadeurs, plus de romances, plus de petits vers ! Vous êtes fait, j’en suis convaincu, pour des succès d’un ordre plus relevé. En un mot, devenez tout-à-fait un homme sérieux, et je m’applaudirai de vous avoir donné ma fille.

Six semaines environ après cette dernière scène, le vicomte Fabien de Moréal épousa Mlle Henriette Chevassu. La cérémonie se fit à Douai avec la plus grande solennité. Il est sans doute inutile d’ajouter que Mme de Pontailly se dispensa d’y assister ; mais le marquis la remplaça de manière à faire oublier cette absence, en montrant du contentement pour deux. Un mois avant le mariage, l’élection du député du Nord avait été cassée pour un vice de forme dans les opérations du collége électoral. Cette catastrophe ne tarda pas à être réparée, grace à quelques voix de légitimistes que le vicomte, ainsi que l’avait prédit M. de Pontailly, parvint à gagner à son beau-père. Une autre prédiction du vieux marquis s’est également réalisée : aujourd’hui M. Chevassu est député ministériel, chevalier de la légion d’honneur et président de chambre, ce qui ne l’empêche de parler ni de l’indépendance de ses opinions, ni de ses services méconnus. Du reste, il n’a pas plus renoncé à l’espérance de devenir garde-des sceaux qu’à la prétention d’être un des meilleurs orateurs de la chambre, sinon le premier ; mais, sur ce dernier point, ses collègues ne sont pas de son avis. — La justice du ciel, dit-on, triomphe toujours tôt ou tard. Dornier en est la preuve : réfugié d’abord en Belgique, il ne tarda pas à perdre au jeu la plus grande partie de l’argent qu’il s’était si peu scrupuleusement approprié. Depuis cette époque, il poursuivit pendant plusieurs années à l’étranger la vie errante qu’il lui était désormais interdit de continuer en France, et finit par mourir assez misérablement à Alexandrie, au moment même où périssait, faute d’abonnés, un journal français qu’il avait essayé d’y fonder. Prosper Chevassu, après cinq ans de cours de droit, n’a pu parvenir à obtenir le diplôme d’avocat auquel, de