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UN HOMME SÉRIEUX.

me plaît beaucoup. Il me semble que ces différentes considérations devraient vous engager au moins à m’écouter.

— Je sais ce que vous allez me dire, répondit froidement M. Chevassu : vous voulez me parler de M. de Moréal ; c’est inutile, mon parti est pris irrévocablement. Jamais un gentilhomme ne sera mon gendre.

— Je remercie votre bourgeoisie au nom de la noblesse, dit le marquis avec un salut un peu moqueur ; à vrai dire, il me semblait que la révolution avait détruit le préjugé de la naissance ; j’osais même croire que nous étions tous égaux.

— Me ferez-vous l’honneur de déjeuner avec moi ? répondit le député d’un ton sec.

— Non, pardieu, dit M. de Pontailly en se levant.

Les deux beaux-frères se quittèrent fort mécontens l’un de l’autre, ainsi qu’il arrivait à peu près toutes les fois qu’ils se trouvaient en présence.

— Eh bien ! s’empressa de demander au marquis Moréal, qui pendant cet entretien était resté dans la voiture.

— Eh bien ! je suis un sot, répondit le vieillard ; hier je vous dis que la plus sûre manière de gâter vos affaires était de m’en mêler, et aujourd’hui je m’en mêle, croyant la réussite immanquable après notre ridicule aventure de ce matin. J’ai eu raison hier et tort aujourd’hui : voilà tout.

— Ainsi, M. Chevassu…

— Un bloc de granit ; mais ne vous désespérez pas, j’espère amener à nous Mme de Pontailly, et ce serait un puissant auxiliaire : c’est aujourd’hui son jour de réception ; venez ce soir.

— Cet empressement ne déplaira-t-il pas ?

— À qui ? dit le marquis en riant ; à ma nièce ?

— Ou à Mme de Pontailly ?

— Ne craignez pas cela. L’empressement d’un jeune homme bien élevé ne déplaît jamais.

En rentrant chez lui, le marquis se rendit aussitôt près de sa femme, et il lui raconta les évènemens de la matinée. Mme de Pontailly n’admettait nullement la distinction établie par son frère entre le courage civil et le courage militaire. À ses yeux, comme à ceux de la plupart des femmes, la bravoure chez un homme devait primer toutes les autres qualités, et même le talent. Ce fut donc avec autant d’indignation que de surprise qu’elle écouta le récit de l’action fort peu chevaleresque attribuée à Dornier.