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n’avaient pas encore contracté avec l’industrie et le commerce cette solidarité dont les embarras se sont fait si fréquemment et si rudement sentir depuis 1815. Peut-être d’ailleurs M. Pitt désespérait-il avec raison d’obtenir de la France libre et se gouvernant elle-même la prolongation du sacrifice que lui avait fait aveuglément l’ancienne monarchie. Quoi qu’il en soit, au sein d’une prospérité inouie, l’élan que les inventions nouvelles imprimèrent à ses manufactures devait détourner l’attention de l’Angleterre des funestes retours que l’avenir pouvait lui garder. La guerre contribua même puissamment à l’affermir dans cette trompeuse sécurité.

II.

Il semble que la guerre doive amener inévitablement avec elle l’appauvrissement et la détresse. Pendant les vingt-trois années qui s’écoulèrent de 1793 à 1815, années troublées par de si vastes conflits, l’Angleterre consacra en sa faveur une exception extraordinaire à cette loi. Il est vrai que, durant cette période, elle a dépensé plus de cinquante milliards, que dans les six dernières années de la lutte seulement elle en dévora dix-huit, qu’à la même époque les revenus des taxes en enlevaient annuellement plus de deux au pays, et qu’enfin les frais de la guerre, l’obligeant à en demander quinze à l’emprunt, ont attaché à son budget le perpétuel fardeau d’une rente de cinq cents millions. Néanmoins la richesse du pays, ce que les économistes appellent le capital national, bien loin d’avoir été épuisée, s’était au contraire accrue énormément durant cet orageux quart de siècle. « Ce qui le prouve, écrivait en 1819 M. Ricardo[1], c’est l’augmentation de la population, l’extension de l’agriculture, l’accroissement de la marine et des manufactures, les constructions de docks, le percement de nombreux canaux, et plusieurs entreprises non moins dispendieuses, signes certains de l’immense accroissement du capital national et de la production annuelle. »

Quel est le secret de cet étrange phénomène ? Les découvertes de la chimie et de la mécanique, la création de la colossale industrie du coton qui en fut la conséquence, et sans laquelle M. Huskisson déclarait en 1825 que l’Angleterre n’eût pu soutenir la lutte ; l’essor que prirent du même coup toutes les branches de l’industrie britan-

  1. Principles of political economy, third edit., p. 164.