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POLITIQUE COMMERCIALE DE L’ANGLETERRE.

nique ; l’état du crédit qui, depuis la suspension de la circulation métallique en 1797, excitait la fièvre des entreprises en fournissant par l’émission illimitée du papier de banque un capital fictif intarissable à la spéculation ; les données économiques, en un mot, le constatent plus qu’elles ne l’expliquent. La cause profonde de ce grand fait est éminemment politique ; elle ne peut être attribuée qu’au caractère spécial de cette guerre. Singulière coïncidence : en même temps que, par une fortune militaire sans exemple, la France établissait son ascendant sur le continent européen, la Grande-Bretagne acquérait sur l’océan la même suprématie, et il sembla un instant qu’il n’y eût plus dans le monde que deux puissances se partageant la souveraineté de la terre et de la mer. Mais les profits de ces deux dominations étaient bien différens. Tandis que les préoccupations militaires absorbaient l’activité et les forces de la France et du continent, que l’Europe, labourée sans repos par les armées, souffrait tous les désastres matériels de la guerre, la Grande-Bretagne, seule à l’abri des perturbations violentes, offrait seule aussi aux capitaux un asile où ils pussent se livrer avec sécurité aux fructueuses transformations que recherche la richesse mobilière. Ainsi la situation de la Grande-Bretagne fut précisément inverse de celle des pays continentaux directement engagés dans les hostilités. Loin d’être comprimée, l’industrie y prit au contraire un élan prodigieux. L’Angleterre fut pendant quelque temps la seule nation commerçante du monde. Les colonies de la France, de la Hollande et de l’Espagne étaient tombées en son pouvoir, ou avaient proclamé leur indépendance. Elle disposait de tous les produits de l’Asie et de l’Amérique. Lorsque en 1810 le commerce de transport des États-Unis fut arrêté à la fois par les Anglais et par Napoléon, les nations du continent ne purent plus même se procurer les matières premières de leurs manufactures que par l’entremise de l’Angleterre. Il ressort d’une enquête dirigée à cette époque par une commission de la chambre des communes, que la livre de coton, qui valait alors 2 fr. 50 cent. à Londres et à Manchester, se payait 7 fr. 50 cent. à Hambourg et 10 fr. à Paris, et que les prix des principaux produits manufacturés que les Anglais fournissaient au continent y étaient de 50 à 200 et même 300 pour 100 plus élevés qu’en Angleterre. Les bénéfices de l’exportation étaient donc si considérables, ou si l’on veut les marchandises anglaises tellement demandées, qu’aucune douane ne pouvait empêcher qu’elles ne s’introduisissent en quantités immenses sur le continent.