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bien mieux encore et enlaidirent horriblement la belle image que Périclès en avait tracée. Empruntons encore quelques mots à la plume vigoureuse de Thucydide ; on sentira dans ses paroles la réalité, la réflexion, l’expérience, la tristesse profonde ; on comprend après avoir lu Thucydide, pourquoi le poète comique demandait toujours la paix à grands cris, pourquoi il déchirait si impitoyablement les boute-feux de la démocratie.

« À partir de ce moment, dit Thucydide[1], la Grèce presque entière fut bouleversée, des factions éclatèrent de toutes parts, les meneurs populaires voulant l’alliance d’Athènes, les aristocrates réclamant celle de Lacédémone. La paix ne leur aurait donné aucun prétexte, aucun désir d’attirer chez eux ces influences extérieures ; mais, pendant la guerre, ceux qui voulaient révolutionner leur pays, dans un sens ou dans l’autre, trouvaient mille raisons pour appeler des auxiliaires qui détruisissent le parti opposé et leur livrassent le pouvoir… Dans la paix et la prospérité, les états comme les individus peuvent suivre des inspirations meilleures, parce qu’ils ne se sentent pas précipités par des nécessités irrésistibles ; mais la guerre, rongeant sans cesse les ressources de la vie, est un rude maître, qui forme les caractères à l’image des circonstances… On en vint même jusqu’à changer le sens ordinaire des mots pour qualifier les actes selon les convenances de l’opinion. L’audace irréfléchie s’appela dévouement et courage ; la temporisation prévoyante fut flétrie comme une peur ignominieuse ; la modération passa pour un prétexte du lâche, l’attention à toutes choses pour lenteur en toutes choses, la précipitation étourdie pour grandeur d’ame, les mûres délibérations pour inertie et refus d’agir…

« Le fond de tout cela, c’était la convoitise du pouvoir, que l’ambition et l’avarice voulaient conquérir ; le résultat, c’était un acharnement de plus en plus vif entre ceux qui se trouvaient ainsi constitués en discorde. Dans ces deux partis, les chefs paraient leurs discours de belles formules, les uns prêchant l’égalité politique de la démocratie, les autres vantant la sagesse aristocratique ; mais le bien public, dont ils se faisaient les esclaves en paroles, n’était en réalité pour eux qu’une proie à saisir : ils luttaient par toutes sortes de moyens pour se renverser les uns les autres, et ne reculaient devant aucun crime, aucune vengeance, aucune cruauté… Si, par de belles paroles, on arrivait à son but, on était justifié par le succès

  1. Liv. III, 82 et suiv.