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ARISTOPHANE.

m’aperçoit ici. Mais, si tu veux que je t’apprenne où les affaires en sont là-haut, tiens, prends ce parasol, et maintiens-le sur ma tête, afin que les dieux ne puissent pas me voir. — Ha, ha, ha ! dit Pisthétère, qui reconnaît bien là l’ingénieux inventeur du feu et de tant d’autres choses ; mais c’est très bien imaginé, cela, et très prométhiquement (προμηθιχῶς, avec prévoyance) ! Allons, passez dessous, n’ayez pas peur, et dites toujours. »

Si nous pouvions nous bien placer en esprit au milieu de cette époque où Socrate buvait la ciguë pour quelques critiques relatives à la religion, et où Aristophane écrivait et faisait jouer de pareilles scènes, nous trouverions sans doute qu’il fallait une force comique bien extraordinaire pour dompter ainsi la superstition vraie ou hypocrite, pour narguer si insolemment Jupiter en n’opposant à son intelligence suprême que le mince obstacle d’un parasol, pour provoquer enfin la plus complète révolution sociale, en faisant subir aux symboles, sacrés encore, quoique corrompus, les éclats de rire de tout un peuple, et en déguisant à peine, sous des pasquinades si mordantes, des attaques si sérieuses et si profondes. Et n’est-il pas vrai que les scènes que nous traduisons, bien méditées, peuvent répandre une nouvelle lumière sur la vraie direction et sur les mouvemens très rapides des esprits à cette singulière époque de la Grèce ?

Voici donc que Prométhée va expliquer la situation de ces pauvres olympiens, auxquels il donne le caractère le plus grossièrement matériel dont la croyance populaire les ait revêtus. « Écoute-moi, maintenant, dit-il à Pisthétère. — J’écoute : dites toujours. — Jupiter est fini. — Et depuis quand fini, s’il vous plaît ? — Il est fini depuis que vous avez bâti en l’air. Il n’y a plus un seul homme qui sacrifie aux dieux ; pas le moindre parfum de viandes rôties qui monte jusqu’à nous depuis ce moment-là ; plus de prémices ; nous jeûnons comme si c’était chaque jour fête de Cérès. Les dieux étrangers admis récemment parmi nous meurent de faim ; ils braillent comme des Illyriens qu’ils sont ; ils menacent Jupiter de lui livrer bataille, s’il ne rend pas la liberté au commerce, afin de rétablir l’importation des tripes de sacrifices… Or, voici ce que je puis te dire de certain : il viendra ici des plénipotentiaires pour traiter avec vous de la part de Jupiter et des Triballes (ces dieux illyriens qui ont faim et qui s’insurgent) ; quant à vous autres, ne traitez pas, à moins que Jupiter ne rende le sceptre aux oiseaux, et qu’il ne te donne à toi Basiléia (la souveraineté) pour femme. — Qui est cette Basiléia ? dit Pisthétère. — Une très belle fille, qui fait le ménage de Jupiter, qui administre la foudre