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et tout, absolument tout, la sagesse, l’équité, la modération, la marine, les réprimandes, les finances, les rétributions judiciaires… — Enfin, elle fait tout ? — Absolument. Et s’il te la cède, tu es le maître de tout. Voilà ce que je venais t’apprendre, car je veux toujours du bien aux hommes. D’ailleurs, ajoute-t-il en finissant, je hais tous les dieux, comme tu sais ; je suis un vrai Timon à leur égard. Mais il est temps que je m’en aille ; rends-moi mon parasol. Si Jupiter m’aperçoit de là-haut, il me prendra pour quelqu’un qui porte l’ombrelle à la procession sur une jeune canéphore. »

Cette conspiration sarcastique marche donc toujours, précisant son but, arrêtant ses bases. Point de traité ni de transaction avec Jupiter, à moins qu’il ne résigne la souveraineté (Basiléia). Bientôt les plénipotentiaires annoncés par Prométhée arrivent. Ils sont trois : Neptune, Hercule et un Triballe, dieu d’Illyrie ou de Thrace, auquel les Athéniens avaient accordé le droit de bourgeoisie dans leur ville, et qui était censé dès-lors admis dans l’Olympe. Ce Triballe est gauche et porte mal son manteau, comme un dieu venu de loin et qui n’est pas au niveau de la civilisation. « Ô démocratie ! s’écrie Neptune, où nous mènes-tu en faisant de pareils choix ? » Hercule est un lourd, sensuel et violent personnage, qui tout d’abord se propose d’étrangler celui qui s’est permis de murer les dieux. En vain Neptune lui représente qu’ils sont ambassadeurs et chargés de traiter de la paix : « Raison de plus pour l’étrangler, » dit le rustre. C’était Hercule qui, plus spécialement qu’aucun autre personnage mythologique, représentait dans l’ancienne comédie l’élément sensuel, les tendances abjectes, qui aiment mieux ramper dans un bonheur trivial que de risquer quelque chose pour maintenir le droit et la dignité : type aussi très anciennement personnifié dans Ésaü, qui vend son droit d’aînesse pour un plat de lentilles. Pisthétère juge bien Hercule, il saura le prendre par son faible. D’abord il fait semblant de ne pas le voir ; il se met à commander à haute voix les évolutions de la cuisine ; il crie aux domestiques : Holà ! la râpe au fromage ! la grasse volaille ! la sauce ! etc. Si bien qu’Hercule se radoucit instantanément ; l’eau de gourmandise lui vient à la bouche ; il salue avec politesse ; il demande ce que c’est que ces viandes, ces ragoûts, ceci, cela, et, oubliant d’étrangler l’homme qui a muré les dieux, il lui fait les propositions de paix les plus accommodantes. « Nous ne demandons pas mieux, répond Pisthétère : Jupiter rendra le sceptre aux oiseaux, et, si nous sommes d’accord sur cette condition, j’invite les plénipotentiaires à dîner. » Pour le coup, Hercule souscrit à