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MISÉ BRUN.

Nous approchions de l’auberge du Cheval rouge, lorsque tout à coup j’entendis du bruit dans le chemin : un cavalier venait au grand trot derrière nous. Nécessairement il devait nous atteindre avant que nous fussions à l’auberge. Ceci m’inquiéta ; je craignis une mauvaise rencontre ; quelque voleur ou quelque homme de la maréchaussée pouvait être sur nos traces. Je fus rassuré en apercevant le cavalier : c’était un bon gentilhomme campagnard dont l’allure semblait annoncer des intentions toutes pacifiques. Assurément cette rencontre lui causait aussi quelque inquiétude, car il enfonça son chapeau sur ses yeux et piqua des deux en passant près de nous ; mais alors misé Brun, avec une présence d’esprit que je ne lui aurais pas soupçonnée, se précipita devant lui, et s’écria, en mettant la main à la bride du cheval au risque d’être renversée : — Monsieur, au nom du ciel, protégez-moi ! sauvez-moi !

Il fit volte face et s’arrêta. — Que se passe-t-il donc ici ? demanda-t-il d’un ton brusque et en portant la main à ses fontes. Je m’arrêtai aussi. — Défendez-vous, monsieur, ou vous êtes perdu ainsi que moi, lui cria misé Brun. Cet homme est Gaspard de Besse.

À ces mots, mon gentilhomme ne me laissa pas le temps de répondre ; il lâcha son coup de pistolet, et ma foi, sans un nuage qui passait sur la lune, j’étais mort. Il tira presque au hasard dans l’obscurité. La balle rasa mon chapeau. Je ne jugeai pas à propos d’attendre une nouvelle décharge.

— Et tu lâchas pied, interrompit Malvalat ; pour ton honneur, tu devais vaincre ou mourir sur le champ de bataille.

— Mon cher, répliqua Nieuselle, ceci n’entrait pas dans mon plan ; je n’avais jamais prétendu conquérir misé Brun en combat singulier. D’ailleurs, c’était impossible ; son champion, me prenant pour Gaspard de Besse, aurait tiré sur moi comme sur une bête fauve avant que je fusse entré en explication ; je battis donc en retraite.

— C’est-à-dire que tu te mis à courir, comme un lièvre à travers champs, jusqu’au château de Nieuselle. Cependant vous étiez trois contre un dans cette rencontre mémorable.

— Est-ce que tu crois que Vascongado et Siffroi s’étaient bravement rangés à mes côtés ? Les deux drôles s’en seraient bien gardés : l’un resta caché derrière les rochers, l’autre lâcha la vieille servante et s’enfuit à toutes jambes. C’était une déroute générale. Ils auraient mérité vingt coups de canne ; mais je leur fis grace à condition qu’ils se conduiraient mieux pendant le reste de l’expédition.