Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/748

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
742
REVUE DES DEUX MONDES.

— Comment ! tu poursuivis l’entreprise après ce premier échec ? dit Malvalat d’un ton goguenard.

— À ma place, tu y aurais renoncé, n’est-ce pas ? répliqua dédaigneusement Nieuselle ; moi, j’eus plus de persévérance et d’audace. En arrivant à Nieuselle, je quittai ma défroque de bandit pour mettre un habit de chasse, puis je tournai bride vers l’auberge du Cheval Rouge ; Vascongado et Siffroi me suivaient en livrée de campagne. La métamorphose était complète. Au lieu de ressembler à un brigand, je paraissais un Amadis, avec ma veste galonnée d’argent et mon feutre orné de rubans verts. Mon heiduque, habillé à la hongroise, était aussi méconnaissable. Quant à mon coureur, ce n’était plus le même homme depuis qu’il avait jeté bas ses gros habits et ses cheveux postiches. Environ une heure après la scène du chemin, j’arrivai donc à l’auberge du Cheval rouge. Ainsi que je l’avais prévu, misé Brun s’y était arrêtée.

— Elle était venue d’elle-même se jeter dans le piége ? s’écria le vicomte ; tu n’avais qu’à étendre la main pour t’en saisir ? Bravo ! bien joué Nieuselle !

— Je mis pied à terre, continua-t-il, et, avant d’entrer dans cet affreux cabaret, je regardai à travers les fenêtres délabrées du rez-de-chaussée ce qui s’y passait. C’était un tableau unique. Figurez-vous une grande chambre enfumée qui servait tout à la fois de salon, de salle à manger et de cuisine ; puis, dans cette chambre où un grand feu de broussailles répandait des lueurs bizarres, deux horribles sorcières, deux vieilles femmes accroupies devant l’âtre, et, entre ces figures jaunes et ridées, l’adorable visage de misé Brun, qui, encore toute saisie, toute pâle, écoutait sans mot dire le caquetage de sa servante et de la cabaretière. Il fallut parlementer pour pénétrer dans l’auberge à cette heure indue ; les portes étaient déjà barricadées. Enfin j’entrai avec ma suite, et l’hôte, qui m’avait reconnu, m’introduisit avec toute sorte de respect dans sa cuisine. Mon apparition ne frappa guère misé Brun, je l’avoue en toute humilité : après avoir un peu détourné la tête et jeté un coup d’œil de mon côté, elle se rangea pour me faire place près du feu et retomba dans ses réflexions et son immobilité. — Ah ! monsieur le marquis, me dit l’hôte, voilà des gens qui viennent d’avoir une chaude alerte ; la bande de Gaspard de Besse rôde dans ces quartiers, lui-même était près d’ici il n’y a pas plus d’une heure. Il me fallut alors entendre le récit de mes propres prouesses et de la vaillante conduite de ce bon gentil-