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adorable de confusion et de simplicité : — Monsieur, je vous remercie ; c’est trop d’honneur pour moi ; je ne saurais accepter.

Je lui barrai le passage en riant et en lui disant toutes les folies qui me passèrent par la tête. Cette fois elle recula, et m’écouta avec un maintien qui ne me présageait pas à la vérité une facile victoire. Mes amis, méfiez-vous de ces femmes qui, lorsqu’on leur dit certaines choses, n’éclatent pas en paroles courroucées et ne daignent pas même répliquer. Elles ont une façon sournoise de se défendre qui déroute les plus habiles. J’en fis l’expérience. Mes ordres étaient exécutés ; le cabaretier et sa femme avaient disparu ; mes gens achevaient d’arranger le couvert. Je me rapprochai de misé Brun et lui dis d’un air moitié impérieux, moitié galant : — Ma toute belle, j’ai résolu que nous souperions ensemble aujourd’hui ; accordez-moi cette faveur de bonne grace. Autrement je suis homme à vous y contraindre, je vous le jure ! Je ne perdrai certainement pas cette unique occasion que m’offre le destin de souper dans un charmant tête-à-tête avec la plus jolie femme du royaume. Allons, point de façons, et permettez-moi de vous offrir la main. À ces mots, je saisis sa main mignonne et voulus l’entraîner ; mais la vieille servante, s’avançant vers moi avec une grimace de guenon irritée, me dit résolument : — Halte-là ! monsieur ! Laissez en paix ma maîtresse ; c’est une honnête femme ; elle n’est pas faite pour entendre les propos d’un débauché. — La vieille mégère joignit le geste à la parole, et se mit entre sa maîtresse et moi. J’appelai mon heiduque. — Fais taire cette femme, lui dis-je ; si elle s’obstine à parler, enferme-la dans le cellier, dans la cave, où tu voudras, pourvu que je ne l’entende plus. Ensuite, me tournant vers misé Brun, je lui dis avec le plus grand sang-froid du monde : — Vous le voyez, ma reine, vos refus sont inutiles. Faites-moi la faveur de me donner la main, et allons souper. — Au lieu de me répondre, la revêche beauté courut vers une porte que je n’avais pas remarquée, l’ouvrit brusquement, et se mit à crier, sans oser entrer toutefois : — Monsieur, venez, je vous en supplie, venez à mon secours ! — Qu’est-ce ? qu’arrive-t-il ? demanda une voix que je reconnus sur-le-champ, car c’était celle de mon damné gentillâtre.

— De l’homme aux pistolets ? La rencontre était unique ! s’écria en riant Malvalat ; mais que pouvais-tu craindre ? Vous étiez trois contre un cette fois, et l’honnête cabaretier t’eût bien prêté main-forte au besoin. Tu devais faire tout simplement jeter par la fenêtre ce chevalier errant.