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MISÉ BRUN.

homme qui voyageait pour sa sûreté et celle d’autrui avec des pistolets à l’arçon de sa selle. — Puisque les chemins sont si peu sûrs, je ne pousse pas jusqu’à Nieuselle, dis-je au cabaretier ; je passerai la nuit ici. Prépare-moi à souper avec tout ce qu’il y a dans ton garde-manger, et monte tout le bon vin que tu as dans ta cave : je veux faire bombance jusqu’à demain.

L’hôte et sa femme se regardaient ébahis. — N’y a-t-il pas ici une chambre ? continuai-je, une chambre où je puisse souper, servi par mes gens et en compagnie de qui bon me semble ? L’hôte courut ouvrir une pièce attenante à la cuisine, et me montra l’ameublement d’un air glorieux. Il y avait six chaises de paille et un lit dont les rideaux de bougran gros vert ressemblaient à des tentures mortuaires. En jetant les yeux sur les murs récemment blanchis à la chaux, j’aperçus sous la transparence du badigeonnage des taches brunes et irrégulières qui me donnèrent à penser. — Qu’est-ce que cela ? dis-je au cabaretier ; je soupçonne que tu as remis à neuf ce taudis parce qu’il y est arrivé quelque malheur. — Dieu du ciel ! ne m’en parlez pas ! répondit-il à voix basse ; deux hommes qui se prirent de querelle la nuit ; l’un tua l’autre. Heureusement cela n’a pas eu de suites. Ils étaient seuls dans la maison, et ce n’est pas moi qui serais allé bavarder devant la justice pour faire tort aux gens qui s’arrêtent chez moi. Une fois que ma porte est fermée, ce qui se passe au Cheval rouge ne regarde personne. — Je le sais, lui dis-je ; allume ici un grand feu, dresse la table, et, quand tout sera prêt pour le souper, va te coucher ainsi que ta femme. Le vieux scélérat cligna de l’œil en regardant misé Brun à travers la porte et courut à ses fourneaux.

Je retournai près de ma déesse, et, m’asseyant à ses côtés, je tâchai de lier conversation. Je la félicitai d’avoir échappé à la terrible rencontre de Gaspard de Besse, et j’assaisonnai mon discours des complimens les mieux tournés ; mais ces petites bourgeoises ont une sorte de modestie sauvage dont il n’est pas aisé de triompher. Celle-ci m’écouta sans lever les yeux et ne me répondit que par un humble salut ; puis, se tournant vers sa servante, elle lui dit à demi-voix : — Allons, Madeloun, il se fait tard. — Eh quoi ! lui dis-je, déjà vous voulez me quitter, ma charmante ? je vous en prie, restez encore un moment. Où voulez-vous aller ? Là-haut, dans quelque galetas où vous grelotterez jusqu’à demain ? Faisons plutôt joyeusement la veillée ici, autour du feu.

Elle s’arrêta interdite, ne sachant comment elle devait prendre mon invitation, et, comme j’insistais, elle me répondit avec un air