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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/755

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MISÉ BRUN.

près misé Brun, et pour cela je vais m’asseoir entre ces horribles bossues.

À ces mots, profitant de quelque interruption dans la marche de la cavalcade, il sauta de l’autre côté de la rue, et alla tomber justement en face de Bruno Brun, qui sortait pour prendre place, avec sa femme, entre misé Marianne et la servante. Il y eut un moment de confusion, car toute la bande des roués avait suivi Malvalat. Cette fois encore la foule se rangea patiemment pour leur faire place. Comme l’ordre de la marche les empêchait de retourner à leur premier poste, ils restèrent adossés contre la maison de l’orfèvre. Pendant ces évolutions, le personnage qui, caché dans l’embrasure d’une porte, écoutait depuis une heure le colloque de Nieuselle avec ses compagnons, traversa aussi la rue, et parvint à se glisser jusqu’à la porte de la boutique, où il demeura appuyé contre les vantaux. Personne ne prit garde à cette manœuvre, pas même Nieuselle, qui de son côté tâchait d’en faire une semblable.

Bruno Brun avait à peine vu les écervelés qui s’étaient jetés au-devant de lui, et il ne se doutait pas de leurs intentions. Le pauvre homme clignait ses gros yeux et tâchait de reconnaître les attributs des grotesques divinités qui chevauchaient par la rue, pêle-mêle avec le roi Salomon, les apôtres et saint Christophe, le géant du paradis. La jeune femme n’avait pas pris garde, non plus, à ce qui s’était passé, et elle ne se doutait pas de l’attention dont elle était l’objet. Cependant Malvalat, fatigué de son rôle de confident, et peu soucieux de seconder les intentions amoureuses de Nieuselle, dit à ses compagnons :

— Messieurs, ceci commence à devenir mortellement ennuyeux ; je n’y tiens plus. Notre présence gêne d’ailleurs les manœuvres de Nieuselle. Allons-nous-en.

— Oui, nous pourrons l’attendre au Cours, ajouta le vicomte.

Ils s’en allèrent discrètement. Nieuselle, favorisé par ce mouvement qui fit place à quelques spectateurs, parvint jusque derrière le banc où misé Brun était assise. La jeune femme ne s’aperçut de rien ; mais la servante, jetant un coup d’œil oblique de ce côté, poussa légèrement le coude de sa maîtresse et lui dit à voix basse :

— Dieu nous assiste ! ce marjolet qui voulait vous faire souper avec lui au Cheval Rouge est là, derrière vous. Prenez garde, ne vous retournez pas.

Misé Brun tressaillit ; une teinte rosée se répandit sur son beau visage. Elle baissa les yeux, saisie de confusion et de crainte.