Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
748
REVUE DES DEUX MONDES.

élevée dans de pieuses croyances, l’autre les habitudes vigilantes et laborieuses de l’humble ménagère.

Bruno Brun avait tourné la tête en entendant sa femme ; puis il s’était mis à arranger lentement et minutieusement ses outils sur l’établi. Quand cette opération fut terminée, il vint fermer les vantaux de sa boutique, dont on n’aperçut plus alors l’intérieur qu’à travers la petite porte qui servait de passage. Misé Brun, debout près du comptoir, jouait d’un air distrait avec la chaînette d’argent suspendue à son côté, et semblait attendre que son mari eût fini, sans impatience et sans curiosité d’aller voir ce qui se passait dehors. Pourtant la cavalcade commençait à défiler dans la rue,

— Quelle patience de femme ! s’écria Nieuselle. Dieu me pardonne ! elle attend le bon plaisir de son bélître de mari pour s’avancer jusqu’à la porte.

— Elle n’ose se montrer sans lui dans la rue, dit le vicomte ; elle redoute les regards du monde, et jusqu’à l’admiration que doit exciter sa présence : ces honnêtes femmes sont toutes comme cela !

— Elle ne sortira pas ! murmura Nieuselle avec un redoublement d’impatience et de dépit.

— Tiens, en revanche, voici les deux duègnes, s’écria Malvalat ; deux monstres femelles, ma parole d’honneur !

En effet, misé Marianne Brun, ou, comme on l’appelait dans le quartier, la tante Marianne, et Madeloun, la servante, étaient deux types qui résumaient tout ce qu’il y a de plus laid dans la nature humaine ; toutes deux avaient le caractère de physionomie particulier aux individus dont l’épine dorsale forme une ligne plus ou moins anguleuse, et leurs traits pointus se refusaient, pour ainsi dire, à exprimer la bonne humeur et la bonté. La tante Marianne avait, du reste, des signes de race qui manifestaient qu’elle était du même sang que l’orfèvre ; la ressemblance était des plus frappantes ; c’étaient les mêmes cheveux roux, le même teint blafard, les mêmes yeux ronds et saillans comme ceux de certains scarabées. Mais il y avait dans le visage de misé Marianne plus de finesse, plus de malice et quelque chose d’intelligent, de résolu, qu’on eût en vain cherché sur l’épaisse figure de Bruno Brun.

La vieille fille et la servante s’étaient assises aux extrémités du banc disposé devant la porte, et il restait entre elles deux places vides.

— Corbleu ! il me vient une idée ! s’écria Malvalat ; je veux voir de