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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/759

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MISÉ BRUN.

noux, devant le crucifix attaché au chevet du lit, pour faire sa prière. Ensuite, au lieu de se vêtir diligemment, selon sa coutume, afin d’être prête avant que la voix nasillarde de la tante Marianne retentît dans toute la maison, elle entr’ouvrit doucement la croisée de sa chambre, et se prit à rêver en regardant le ciel. La croisée donnait sur une cour intérieure dont l’aspect était à peu près celui d’une citerne sans eau. Nul regard étranger ne pouvait plonger dans cette enceinte étroite, obscure, et dont le sol humide était pavé de dalles verdâtres. Dans l’angle opposé à la porte d’entrée, il y avait un puits, et, à l’entour de la margelle, quelques vases ébréchés où, depuis bien des années, la tante Marianne essayait de faire croître du cerfeuil, du persil, et d’autres plantes culinaires. Quelques giroflées, semées entre ces herbes par misé Brun, mêlaient leurs petites fleurs dorées aux tiges grêles qui tapissaient le bord du puits. Jamais un rayon de soleil ne pénétrait dans cette espèce d’abîme qui donnait du jour à l’arrière-boutique et aux trois étages de la maison de Bruno Brun, laquelle n’avait point de fenêtre sur la rue. L’ombre éternelle qui y régnait avait donné des tons noirs aux boiseries et tapissé les murs de crevasses moussues. Les bruits de la rue n’y pénétraient point. On n’y entendait que les cloches de la paroisse et le Jacquemart de l’hôtel-de-ville, qui frappait les heures avec son marteau d’airain. En ce moment, les premières clartés du jour rayonnaient au faîte de la vieille maison, les passereaux jasaient au bord du toit, et l’air était tout embaumé des parfums d’un pot de réséda oublié sur la fenêtre de quelque grenier du voisinage.

Misé Brun défit sa cornette, dénoua ses longs cheveux, et se pencha sur la croisée comme pour baigner sa tête brûlante dans l’humide fraîcheur que la nuit avait laissée dans l’atmosphère. L’insomnie avait pâli le rose incarnat de son teint et donné à son regard une expression de langueur souffrante. Elle était triste, inquiète, et parfois cependant un sentiment confus de bonheur, d’ineffable joie, faisait tressaillir tout son être. Lasse de lutter contre l’idée fixe qui l’obsédait, elle s’y laissait aller, non sans un reste de scrupule et d’effroi, mais avec les élans d’une ame ardente, avide de tendresse et d’amour, et pourtant encore pure, encore ignorante de ses propres mouvemens et de ses propres instincts. Même aux pieds de son confesseur, avec la contrition de sa faute et le ferme propos de s’en accuser, la pauvre femme n’aurait pu dire en quoi et comment elle avait péché. Inhabile à juger ses impressions, elle savait seulement que depuis plusieurs mois un objet unique occupait sa pensée, qu’un seul jour