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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/766

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REVUE DES DEUX MONDES.

veillée veillée d’une telle générosité, donnez, je vais lui remettre cela, en lui recommandant de ne pas vous oublier dans ses prières.

Elle prit l’or et courut le porter à la Monarde d’un air triomphant ; l’étranger et misé Brun restèrent comme seuls en face l’un de l’autre. Pendant quelques minutes, ils ne se parlèrent pas. La jeune femme détournait les yeux sans songer que son embarras, la rougeur de son front et son silence même trahissaient son émotion ; l’étranger, non moins troublé, la regardait avec une tendresse passionnée, une mélancolique joie. Enfin, sans rien lui dire, il toucha le missel qu’elle avait entre les mains et le retira doucement. Elle le lui laissa prendre sans résistance, et, tandis qu’il se hâtait de le cacher, elle murmura, entraînée par un irrésistible mouvement : Je vous le donne. Il n’eut pas le temps de répondre ; Madeloun revenait. Elle avait un certain air mystérieux et grave qui eût frappé des gens moins absorbés dans leurs propres impressions.

— Mon charitable monsieur, dit-elle avec une sorte d’emphase et en regardant fixement l’étranger, la Monarde vous remercie bien humblement de votre générosité ; elle ne manquera pas de prier Dieu tous les jours pour qu’il vous fasse vivre long-temps.

— Allons, Madeloun, dit faiblement misé Brun, il est temps de rentrer.

— Jésus ! Maria ! je le crois bien, s’écria la servante, la messe est finie ; voici misé Marianne… Soyez tranquille, elle ne vous voit pas ; mais vite, à la maison… Monsieur, j’ai l’honneur de vous saluer ; que Dieu vous préserve des mauvaises rencontres et de tout malheur !

La jeune femme jeta sur l’étranger un seul regard, le premier qu’elle eût osé lever vers lui ; puis, prenant le bras de Madeloun, elle l’entraîna vivement. Misé Marianne s’était arrêtée pour donner un rouge liard à la Monarde ; les deux femmes eurent tout le temps de regagner le logis avant elle. Au moment d’arriver, la servante ralentit le pas et dit mystérieusement à sa maîtresse :

— Vous ne savez pas, j’ai appris sans le vouloir un secret. Figurez-vous que ce digne monsieur a risqué sa vie pour venir voir la fête d’hier soir !

— Sa vie ! répéta misé Brun en tressaillant de surprise et de crainte, sa vie ! Et comment ?

— Ah ! voilà le secret. La Monarde me l’a confié ; voici comment. Tantôt, lorsque je lui ai remis cette grosse aumône, elle a levé les mains au ciel en souhaitant à ce brave monsieur toute sorte de bé-