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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/774

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REVUE DES DEUX MONDES.

involontairement, et l’assurer que vous vous conduirez toujours d’après ses bons exemples. C’est bien là votre pensée, n’est-ce pas ?

— Je ne sais, mon père, répondit-elle en hésitant ; mais je tâcherai de penser au fond du cœur ce que vous voulez que je dise à ma tante Marianne.

Le vieux moine secoua sa tête chauve et se prit à réfléchir ; puis il dit en regardant fixement misé Brun : — Ma chère fille, quand vous êtes venue me demander l’absolution aux dernières fêtes de Pâques, vous m’avez avoué vos péchés, mais vous ne m’avez pas confié vos chagrins ; vous ne vous trouvez pas heureuse dans la famille où vous êtes entrée ?

Pour toute réponse, la pauvre femme se prit à pleurer.

— Ma chère fille, parlez-moi de vos peines, reprit le moine avec onction ; à qui devrez-vous les confier, si ce n’est à moi, votre directeur, votre père spirituel ? Dites-moi tout ce qui vous pèse sur le cœur : que s’est-il passé céans dont vous ayez sujet de vous affliger ? Est-ce l’humeur de votre tante Marianne qui vous rend malheureuse ?

— Non mon père, j’y suis accoutumée, répondit-elle avec une naïve résignation.

Le père Théotiste demeura pensif un moment, puis il reprit en suivant tout haut le fil de ses idées : — Votre mari est un homme de bien, et je suis sûr qu’il n’a jamais manqué aux sentimens qu’il vous doit. Je sais que son caractère est mélancolique et taciturne ; mais votre humeur agréable, votre douceur, pourront changer son naturel. Ayez pour lui une grande soumission, une bonne volonté continuelle, témoignez-lui en toute occasion que vous désirez par-dessus tout son approbation, et que son bonheur est le but unique de vos soins ; aimez-le enfin, c’est votre devoir.

— Oh ! mon père ! murmura misé Brun en cachant son visage dans ses mains avec un geste de répulsion et de douleur qui dévoila sa pensée et éclaira le père Théotiste mieux que l’aveu le plus sincère.

— Ma fille, s’écria-t-il, au nom de votre tranquillité, de votre bonheur, de votre salut éternel, achevez de me faire connaître l’état de votre ame, dites-moi quels sont vos sentimens envers votre mari.

— Quand je le vois, j’ai peur, répondit-elle à voix basse.

— Vous êtes un enfant, dit le moine un peu rassuré. Eh ! quelle crainte peut vous inspirer un homme paisible et débonnaire comme Bruno Brun ? S’est-il jamais livré devant vous au moindre emportement ? vous a-t-il seulement parlé d’une façon sévère ?