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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/773

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MISÉ BRUN.

sédait plus rien en propre et ne pouvait même avoir de l’argent pour ses aumônes, on l’avait vu, dans les temps rigoureux, donner jusqu’à ses sandales et rentrer nu-pieds au couvent.

Le père Théotiste était le confesseur de misé Brun depuis qu’elle avait atteint l’âge de discrétion, et il avait, à ce titre, un libre accès chez l’orfèvre ; c’était le seul visage étranger qu’on eût vu dans la maison, de mémoire d’homme, à ce que prétendait Madeloun. Sa présence répandait toujours le contentement dans la famille ; la tante Marianne elle-même adoucissait son humeur pour le bien accueillir.

Misé Brun, entendant la voix du père Théotiste, se hâta de descendre. Le bon religieux avait déjà pris place à table ; il arrêta d’un coup d’œil la tante Marianne qui allait probablement accueillir la jeune femme avec quelque sévère remontrance, et dit en désignant la place vide de l’autre côté de la table : — Dieu vous garde, ma chère fille ! venez vous asseoir près de votre tante et servez le café. Je goûterai volontiers au déjeuner que la Providence m’envoie, car hier soir je n’ai pas eu le temps de faire collation.

— Sainte Vierge ! vous n’avez rien mangé depuis hier matin ? s’écria la tante Marianne ; ainsi, mon père, si je ne vous eusse point prié de venir prendre une tasse de café en passant devant notre porte, vous n’auriez pas déjeuné ?

— Je serais allé, à midi, manger la soupe du couvent, répondit-il ; certainement ce n’était pas une grande privation d’attendre jusqu’à cette heure-là. Combien de pauvres gens ont supporté de plus longs jeûnes quand le pain manquait chez eux ! J’ai vu, pendant les mauvais hivers, des familles qui passaient tout un jour avec quelques poignées de féverolles.

— Béni soit Dieu qui nous a donné le nécessaire ! dit misé Brun les larmes aux yeux.

Après le déjeuner, misé Marianne se retira sur un signe du père Théotiste, qui demeura seul avec la jeune femme.

— Ma fille, dit-il en souriant d’un air de reproche indulgent, j’ai prié Dieu pour vous en disant ma messe, car je voyais bien que vous oubliiez vous-même de vous recommander à lui. Ce matin, vous avez péché par omission, mon enfant.

— Il est vrai, mon père, répondit-elle avec humilité ; mais je me repens de ma faute et je tâcherai de n’y plus retomber.

— C’est bien, ma fille, les bonnes résolutions sont aussi agréables à Dieu que les bonnes actions. Il faudra dire à votre tante Marianne que vous êtes fâchée du scandale que vous lui avez donné