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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/777

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MISÉ BRUN.

aveu tacite : non-seulement il n’était jamais entré dans sa pensée que la jeune femme eût failli, mais encore il lui semblait matériellement impossible qu’elle eût été induite en tentation, tant il la savait étroitement surveillée et gardée.

— Ma fille, dit-il enfin avec cet accent plein d’onction et de miséricorde qui touchait même les plus grands criminels ; ma fille, je suis ici non pour épouvanter votre conscience, mais pour consoler et fortifier votre ame : de quelle mauvaise action vous êtes-vous rendue coupable ?

Elle joignit les mains, et, rassemblant toutes ses forces, elle dit à voix basse : — Mon père, j’ai grièvement péché par pensée…

— Par pensée seulement, murmura le bon moine d’un air indulgent et soulagé ; achevez, ma fille.

Alors misé Brun raconta d’une voix entrecoupée et souvent arrêtée par ses pleurs sa rencontre avec l’étranger, et l’impression que cet homme laissa d’abord dans son ame, comment elle l’avait revu la veille, ses angoisses pendant la dernière nuit ; enfin elle avoua l’entrevue qu’elle venait d’avoir avec lui dans le cloître. Exaltée par ses souvenirs, émue par l’analyse de ses propres impressions, elle trouva pour peindre la situation de son ame, des accens, des paroles, qui durent résonner étrangement dans cette austère demeure, où jamais peut-être le mot d’amour n’avait été prononcé. Le père Théotiste l’écoutait consterné et stupéfait. Le digne homme, habitué à sonder la conscience des plus déterminés scélérats, à recevoir les confessions les plus effroyables, était d’ailleurs d’une singulière innocence d’esprit. Certaines questions dépassaient sa compétence ; il ne concevait rien à toute cette métaphysique des passions que la jeune femme lui dévoilait à sa manière, et se trouvait fort embarrassé pour y répondre. Il avait bien confessé dans sa vie quelques dévotes ; mais aucune ne lui avait découvert les secrets abîmes que renferme le cœur des femmes, et c’était la première fois que sa vue plongeait dans ces profondeurs inconnues que nul regard humain n’explora jamais entièrement. Lorsque sa jeune pénitente eut achevé ses aveux, il n’essaya pas de raisonner sur la faute qu’elle avait commise et dont il n’apercevait pas toute l’étendue, il se contenta de lui dire :

— Dieu soit loué ! ma chère enfant, il n’y a pas grand mal dans tout ce que vous venez de me raconter, ce sont des rêveries qui vous ont troublé l’esprit, voilà tout. Dorénavant ne vous laissez plus aller à ces mauvaises pensées ; travaillez, et priez Dieu pour vous en distraire. Quand vous serez hors du logis, ne vous éloignez pas un seul