Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
776
REVUE DES DEUX MONDES.

— Morte d’un coup de couteau ; celui qui l’a tuée avait la main sûre ; elle n’a pas jeté un cri ; personne n’a rien entendu ni rien vu. Seulement le bedeau s’est rappelé que vers la tombée de la nuit il avait aperçu deux hommes rôdant autour du cloître. Certainement ils guettaient la Monarde et attendaient le moment où tout le monde serait sorti de l’église pour venir à bout de leur mauvais dessein.

— C’est bien extraordinaire, observa froidement misé Marianne ; pourquoi des voleurs se seraient-ils attaqués à cette mendiante ? Il n’y avait rien à prendre sous ses guenilles.

— Qui sait ? répondit Madeloun en regardant sa jeune maîtresse ; la Monarde recevait parfois de grosses aumônes. Elle avait peut-être au fond de ses poches rapiécées quelques louis d’or que ces malfaiteurs auront vu reluire de loin. Mon idée est qu’on l’a assassinée pour lui prendre son argent.

— Et les meurtriers sont-ils arrêtés ?

— Non, par malheur ; la terreur est dans le quartier : il y a des gens qui disent que la Monarde a été assassinée par des hommes de la bande de Gaspard de Besse.

Misé Brun écoulait ces détails avec un muet saisissement. Son esprit était frappé des circonstances qui avaient accompagné ce sinistre évènement ; elle éprouvait une sorte de remords en songeant que c’étaient les fatales largesses de l’étranger qui avaient causé la déplorable fin de la Monarde. Dans l’après-midi, Madeloun, se trouvant seule avec elle un moment, lui dit à voix basse : — Certainement ces bandits ont tué la Monarde pour avoir son argent : figurez-vous qu’on n’a trouvé dans ses poches que quelques rouges liards, pourtant vous et moi nous savons bien qu’il y avait six beaux louis d’or.

— Mais qu’est-ce qui prouve qu’elle les eût gardés sur elle ? observa misé Brun, peut-être les a-t-elle mis dans quelque cachette où il sera impossible de les retrouver.

— Non pas, j’en suis certaine, répondit Madeloun ; la pauvre femme n’avait manié de sa vie un louis d’or ni possédé seulement trois écus. Quand je lui mis dans la main cette belle monnaie que vous savez, elle la regarda d’un œil ravi, ensuite elle la cacha au fond d’une de ses poches en me disant : — Ça restera là nuit et jour. — Apparemment quelqu’un de ces traîne-potence qui rôdent jusque dans les églises avec l’espoir de faire un mauvais coup, était derrière nous quand nous nous sommes arrêtées dans le cloître le jour de la Fête-Dieu. Si l’on osait parler, tout cela s’éclaircirait peut-être.