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du bien et du mal. Non-seulement je n’ai plus la force de résister, mais je ne me sens même plus la volonté de vaincre mes mauvais penchans. Mon ame est saisie du dégoût de toutes les choses qu’il faut aimer et respecter. Je ne puis plus prier Dieu, et mon esprit s’égare dans des pensées qui devraient me faire horreur.

— C’est-à-dire que vous vous laissez aller à ces rêveries dont vous m’avez déjà parlé ? dit doucement le vieux moine ; eh bien ! voyons, ma fille, vers quel but êtes-vous entraînée malgré vous ? Quel est le secret désir que vous vous reprochez ?

— Mon père, répondit-elle à voix basse, une horrible tentation m’assiége nuit et jour ; je voudrais sortir d’ici… revoir cet homme, et, si je le revoyais, ce serait fini, je le suivrais.

— Non, ma fille, vous ne le suivriez pas, dit le père Théotiste avec une énergie mêlée d’onction ; non, vous ne tomberiez pas ainsi dans les derniers abîmes de l’infamie et du péché. Vous ne voudriez pas, pour satisfaire votre passion, renoncer à ce beau titre d’honnête femme qui accompagne votre nom, et auquel personne dans votre famille n’a jamais failli. Vous songeriez à votre mère, qui vous garde une place à son côté dans le ciel, et dont le regard vous suit sur la terre ; vous vous souviendriez des exemples qu’elle vous a laissés, et vous seriez sauvée.

Ces paroles firent une grande impression sur misé Brun ; elles raffermirent son ame et tranquillisèrent son esprit ; il lui sembla qu’en effet elle pouvait souffrir et mourir, mais non se déshonorer en ce monde et renoncer à son salut dans l’autre. Peu à peu les violences de son cœur s’apaisèrent ; elle tomba dans un état de langueur et de mélancolie auquel une tranquillité résignée aurait peut-être succédé pour toujours, si de nouveaux incidens n’étaient venus troubler le repos matériel de sa vie et rompre les calmes habitudes dans lesquelles l’activité de son caractère, l’ardeur de son imagination et la sensibilité de son ame s’éteignaient lentement.


Mme Ch. Reybaud.


(La seconde partie au prochain numéro.)