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MISÉ BRUN.

écoutait maintenant sans frayeur comme sans intérêt. Le soir, après souper, lorsque l’orfèvre, accoudé sur la table, discourait avec misé Marianne de potence et d’enterrement, la jeune femme allait vers la fenêtre et avançait la tête pour regarder le ciel. En contemplant de l’étroit espace où elle était enfermée cette immensité, ces splendeurs éternelles, elle se prenait à rêver et souvent à pleurer. Parfois, — c’étaient ses momens de félicité, — elle s’asseyait à la fenêtre, le front penché sur sa main, et respirait avec amour le parfum de quelques fleurs précieusement arrangées dans une tasse de faïence ; elle effleurait de ses lèvres fraîches et pures le calice empourpré des roses, les pâles jasmins, et caressait de son souffle leurs pétales embaumés. Ordinairement, de longues heures d’abattement et de douloureux ennui succédaient à ces momens d’ivresse mélancolique, et la jeune femme succombait à un accablement intérieur plus mortel que les douleurs violentes de l’ame. Par momens aussi, les idées religieuses reprenaient sur elle leur empire. Alors elle se tournait vers Dieu d’un cœur fervent et repenti, en formant contre elle-même des résolutions qu’elle n’avait jamais la force de tenir.

Le père Théotiste visitait souvent la famille ; lorsqu’il se trouvait seul avec misé Brun, il n’essayait pas de l’interroger sur la situation de son ame, il se bornait à lui demander compte de ses actions, et quand la jeune femme lui avait répondu que son temps s’était passé à travailler et à prier Dieu, sans sortir du logis, il lui disait avec satisfaction :

— C’est bien ; continuez ainsi, ma chère fille, et souvenez-vous que Dieu garde du péché celle qui se garde de l’occasion.

— Qu’il me préserve de l’offenser involontairement par de mauvaises pensées ! disait misé Brun d’une voix triste et timide.

Alors le père Théotiste hochait la tête d’un air de reproche indulgent, et répondait avec la simplicité d’une ame qui n’avait jamais nourri aucun coupable désir ni éprouvé les secrètes ardeurs d’une passion défendue :

— Ma fille, on pèche non pas contre Dieu, mais contre soi-même, quand on s’abandonne à des scrupules exagérés et qu’on se tourmente de fautes imaginaires.

Une fois cependant, misé Brun, effrayée des passions emportées et rebelles qu’elle sentait gronder dans son cœur, supplia le père Théotiste de l’entendre en confession.

— Mon père, dit-elle en versant des larmes de honte et de douleur, il faut que Dieu m’ait abandonnée ; j’ai perdu le discernement