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populations diverses d’origine, mais également indolentes et casanières, sans esprit national, sans désir d’amélioration, et opposant au progrès cette force d’inertie dont on leur avait si long-temps fait un mérite, qu’elle était passée dans leurs instincts. Marie-Thérèse, quoique très-jalouse de ses prérogatives, usait de la toute-puissance avec une réserve extrême, autant par bonté de cœur que par prudence politique ; ses réformes sans portée ne corrigeaient que des abus superficiels. L’air qu’on a de tout temps respiré dans les conseils auliques semble peu propre à former ces hommes d’état qui sont de taille à remuer les masses et à retremper les empires.

À défaut d’un homme de génie, il se rencontra un homme excentrique, un prince dévoré de l’ambition des grandes choses, poussant jusqu’à la manie la passion du bien, et en même temps trop impatient, trop présomptueux, trop inexpérimenté pour mesurer les obstacles. Tel fut Joseph II, figure à part dans la galerie de la maison d’Autriche, caractère bizarre et pourtant sympathique, mélange de Pierre-le-Grand et de don Quichotte, tenant du héros moscovite par certaines qualités énergiques, et du chevalier de la Manche par sa candeur, sa sensibilité romanesque et son ignorance des hommes. Une pareille physionomie est assurément de nature à séduire un peintre d’histoire, et c’est une bonne fortune que de pouvoir tracer dans le cadre d’un portrait piquant le tableau des transformations d’un état de premier ordre, et le mouvement de la politique générale à une époque très intéressante. Une Histoire de l’Empereur Joseph II[1], que vient de publier M. Camille Paganel, réunit ces divers élémens de succès. Aujourd’hui que la puissance autrichienne manifeste une vitalité dont l’Europe s’étonne, la biographie du prince qui a donné la première impulsion présente, indépendamment du mérite littéraire qui la distingue, l’avantage de l’à-propos.

Le naturel de Joseph paraît s’être révélé dès l’enfance. De graves historiens allemands ont conservé cette phrase échappée à l’impératrice mère : « Mon Joseph n’est pas obéissant ; il est trop remuant et trop distrait. » Cette pétulance, au milieu d’une cour empesée par l’étiquette, paraissait inconvenante et de mauvais augure. L’héritier de l’empire eut la douleur de voir toute la tendresse de ses parens concentrée sur l’un de ses jeunes frères, qui mourut à seize ans. Pour lui, il n’y eut que froideur et sévérité : son adolescence

  1. In-8o, chez Firmin Didot.