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aux charges publiques. Ces mesures nécessitent un cadastre général, et, comme on ne trouve pas dans le pays assez d’agens spéciaux pour pousser simultanément cette vaste opération, l’empereur imagine d’improviser des arpenteurs en faisant donner au besoin à de simples paysans quelques notions générales de géométrie. Trouvant moyen de concilier ses doctrines philosophiques avec un catholicisme sincère, il restreint sans scrupule l’autorité du saint-siége, diminue les revenus du clergé, corrige de son chef la discipline ecclésiastique, ferme onze cent quarante-trois couvens sur deux mille, fait rentrer vingt mille moines dans la vie civile, force des religieuses à faire des chemises pour les soldats. Dans l’ordre judiciaire, il ne se contente pas de refondre les vieux codes, de remanier la loi écrite : il commande aux juges l’exactitude, l’impartialité, le désintéressement, de même qu’on devait voir, peu de temps après, la Convention française mettre la vertu à l’ordre du jour. Un système de conscription générale remplace dans plusieurs provinces l’ancien mode de recrutement. La peine de mort est abolie, la liberté des cultes proclamée par un édit de tolérance, le mariage déclaré contrat civil, le divorce facilité. Souvent dupe de sa vanité, le réformateur ne néglige pas le mot à effet, l’appareil théâtral. Ainsi, à l’appui d’une ordonnance sur l’agriculture, on voit l’héritier de Charles-Quint parodier les empereurs chinois, en guidant la charrue de sa main impériale. Pour donner enfin une idée complète du zèle impatient, de la philantropie tracassière du fils de Marie-Thérèse, il suffit de rappeler que les trois premières années de son règne lui suffirent pour lancer trois cent soixante-seize ordonnances générales, applicables à tous les états autrichiens, sans compter la multitude de celles qui concernaient en particulier les diverses parties de l’empire.

Ne semble-t-il pas que Joseph avait deviné le programme de notre assemblée constituante ? Mais les promoteurs de la révolution française traduisaient le vœu national : au contraire, le despote allemand ne trouva pas même un point d’appui dans les sympathies de ceux à qui ses réformes devaient profiter. Ce n’est pas par des services réels et durables qu’on captive les classes populaires : les améliorations qu’on peut apporter à leur sort ne sont presque jamais assez palpables pour être immédiatement appréciées. Il faut pour émouvoir la foule des coups de théâtre ; il faut la saisir subtilement par l’imagination ou par le cœur ; mais cette émotion communicative, cette volonté insinuante, cet art de lancer une idée et d’intéresser