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POLITIQUE FINANCIÈRE DE L’AUTRICHE.

la majorité à son succès, c’est le lot du génie, c’est la magie d’un Richelieu, d’un Napoléon. Méthodiquement honnête, ignorant, méprisant peut-être le secret de manier l’opinion publique, Joseph ne réussit pas à émouvoir le peuple qu’il prétendait émanciper, et se trouva isolé en présence des privilégiés qu’il attaquait. Une violente opposition réunit les nobles, les prêtres, les hommes d’état routiniers, les employés subalternes qui vivaient des abus. Le frère de Joseph lui-même, le futur empereur Léopold, souffrit qu’on le désignât comme le chef des mécontens. Toutefois, avant d’en venir à la rébellion ouverte, on attendit que la manie des réformes devînt importune à la multitude, et qu’il fût possible de calomnier auprès du peuple le tuteur zélé des intérêts populaires.

L’incendie éclata dans les Pays-Bas. Une ordonnance impériale, divisant cette contrée en neuf cercles, supprimant les coutumes et les franchises locales pour établir une administration uniforme, était une violation de la charte de joyeuse-entrée, considérée par les Belges comme le palladium de leur nationalité. Les anciennes formes judiciaires ne furent pas plus respectées. Un édit cassant les anciens tribunaux, annulant les justices seigneuriales, créait de nouvelles cours hiérarchiquement subordonnées à une cour souveraine installée à Bruxelles. Bien qu’en théorie cette innovation fût un progrès, elle choqua des bourgeois hautains et hargneux, qui tenaient au privilége aristocratique d’être jugés par leurs pairs. La suppression des séminaires épiscopaux, remplacés par l’université impériale de Louvain, la sécularisation de plusieurs abbayes, la liberté du culte accordée aux protestans, leur admission aux emplois civils et aux honneurs de la bourgeoisie, furent autant de provocations ressenties vivement par le clergé. Une faute plus grave encore, parce qu’elle ne peut être excusée par aucun motif politique, ce fut l’ordre qui restreignit les pèlerinages, les confréries, et plusieurs autres de ces pratiques pieuses qui sont pour le vulgaire l’essence et le but de la religion. Pour perdre le monarque dans l’esprit d’une population bigote, les prêtres n’eurent plus qu’à le dénoncer comme un violateur des choses saintes. En refusant les subsides annuels, les états de Brabant donnèrent le signal et l’exemple de la résistance.

Pendant ce temps, Joseph guerroyait contre les Turcs sur les rives du Dnieper. Son étonnement naïf à l’annonce des premiers désordres est un des traits qui dessinent le mieux sa physionomie. Il ne peut pas croire, l’honnête philantrope, que ses sujets se révoltent parce qu’il veut les rendre heureux et libres. Il cherche l’explication