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premier consul allait lui-même, et où nous voyons qu’il surveillait les galantes équipées de son attaché. Ce furent ensuite des dîners chez Robert, le Véry de ce temps-là ; dîners de garçons, de banquiers surtout, et de femmes aimables. Observons en passant que la femme aimable n’existe plus, ni de nom ni même de fait. C’était une production du directoire, une race de transition, créée par la guerre et les dilapidations qu’elle entraîne. La femme aimable, à qui l’on disait : Belle dame ! a cessé d’exister quand les colonels pillards et les fournisseurs fripons ont pris leur retraite… Mais revenons.

Les dîners de son secrétaire déplurent à l’empereur. Il accusa le cher Menevalot de bien vivre avec ses ennemis ; et bien que celui-ci se fût gravement et sincèrement disculpé, de notables changemens dans les façons du maître l’avertirent qu’on désirait le trouver en faute. L’empereur s’arrangeait pour le devancer dans le cabinet ; il le faisait demander aux heures où, d’ordinaire, il avait jusque-là toléré ses absences. Puis, enfin, un paquet, expédié par M. Meneval, n’ayant pas été remis, la scène qui se préparait fut jouée. Ce fut une vive sortie sur l’abandon où le cabinet était laissé, le défaut de surveillance, les absences continuelles, la dépêche importante égarée par la faute du secrétaire ; tout cela d’un ton très animé, avec une colère évidemment préméditée et des paroles tellement hâtées, qu’elles ne laissaient pas le temps de la plus brève justification. Sur ce l’empereur sortit et ne reparut plus.

Le soir, en présence du ministre secrétaire-d’état, la seconde partie de la scène fut jouée, mais sur un autre ton. L’empereur, cette fois, était calme, composé, paternel. Il invoquait les droits que lui donnaient une confiance entière, jusque-là témoignée à M. Meneval, les devoirs contractés par celui-ci, l’honneur attaché à les bien remplir, les projets qu’on avait conçus pour son avancement… tout cela sur un ton de bienveillance tel, que la froideur dont M. Meneval s’était armé tout d’abord fit bientôt place à une vive émotion. L’effet voulu se trouvait produit. M. Meneval assure, du reste, que cette querelle ne se renouvela plus ; mais il oublie de nous dire si ses dîners continuèrent.

Nous avons voulu donner une idée aussi exacte que possible des antécédens de M. Meneval et des rapports établis entre lui et son souverain. Maintenant il faut le suivre sur le terrain historique dans lequel il semble avoir voulu circonscrire son travail actuel.

C’est une chronique étrange en vérité, c’est un des plus fabuleux épisodes de cette fabuleuse épopée, que le mariage de Napoléon et de Marie-Louise. On l’écrirait aisément, au début du moins, en vers pareils à ceux des Niebelungen. D’un côté, ce champion redoutable qui jette ses défis aux quatre points cardinaux de l’univers, cette espèce d’Etzel indompté, de Siegfried invulnérable ; de l’autre, cette blonde jeune fille, qu’on sacrifie aux intérêts politiques en pleurant sur elle comme sur une hostie dévouée, et qui vient, effarouchée, tremblante, tomber en pleurant, elle aussi, son propre deuil, dans les bras de l’impatient capitaine.