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REVUE LITTÉRAIRE.

Son arrivée eut quelque chose de poétique et de violent qui dut la confirmer dans ses prévisions sinistres. Toute jeune, en jouant avec les archiducs ses frères, elle avait rangé en bataille des soldats à figures terribles, dont le plus grand, le plus noir et le plus laid représentait naturellement le chef de ces grandes armées si fatales à la puissance impériale. Plus d’une fois, pour venger les désastres dont le contre-coup arrivait jusqu’à eux, ces pauvres enfans avaient mutilé ou percé d’épingles cette image abhorrée. Pour eux, Napoléon était véritablement l’ogre de Corse, le Malbrouck ou le Jean de Vert des chansons populaires. Ces impressions n’étaient point effacées de son esprit timide. Et comment aurait-elle douté d’elles, en voyant les bons Viennois, émus et révoltés, se jeter au-devant de son carrosse pour empêcher leur empereur de livrer sa fille au redoutable meneur d’hommes qui l’attendait dans son fantastique palais ?

Or, voici qu’à la tombée de la nuit, par un temps affreux, — les éclairs brillaient, la pluie tombait à flots, — une calèche sans armes arrête le cortége de la jeune impératrice. Un homme en descend, dans le costume simple et sévère du soldat en campagne. Il s’avance sans mot dire et sans être reconnu jusqu’à la portière. Un écuyer le nomme. C’est l’empereur. Il s’élance à côté de sa fiancée. La voiture repart au galop. Tout était convenu, réglé autrement. Il y avait à Soissons des tentes disposées pour la première entrevue. Léger, le tailleur à la mode, avait préparé un habit de noces orné d’une broderie. La princesse Pauline avait prescrit la cravate blanche comme étant de rigueur. L’impératrice devait s’incliner devant un carreau ; l’empereur la relèverait en la serrant dans ses bras. Au lieu de ces cérémonies, de cette étiquette, ce que nous venons de voir : une surprise, un coup d’autorité, une bravade, une sorte de rapt.

Et le soir même, après un souper à trois, — la reine de Naples en était, — une prise de possession comme celle de Marie de Médicis par Henri IV. Mais Henri IV était-il une autorité en fait de galanterie délicate ?

Les rapprochemens ne manqueraient point, au surplus, si l’on voulait pousser plus loin le parallèle. Les deux épouses divorcées, — Marguerite et Joséphine, — se ressemblaient à beaucoup d’égards ; nous sommes dispensés de dire lesquels. De plus, entre Marie de Médicis et Marie-Louise, on pourrait encore, par malheur pour cette dernière, établir plus d’une comparaison ; mais, puisque M. Meneval ne l’a point fait, pourquoi nous montrer plus sévère que lui ?

Nous devons le dire, sa réserve au sujet de Marie-Louise, pleine de goût d’ailleurs, et parfaitement honorable pour le caractère de l’écrivain, a bien quelques inconvéniens pour le lecteur. Celui-ci est mis en demeure de trop deviner dans ces discrètes peintures de l’intérieur des Tuileries. L’empereur semblait heureux, dit timidement notre historien : d’où nous sommes tenté de conclure qu’il ne l’était pas. Il était affable et affectueux avec l’impératrice ; il l’amusait par des propos enjoués quand il la trouvait sérieuse, et déconcertait sa réserve par de bonnes et franches embrassades. Ce sérieux, cette