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REVUE LITTÉRAIRE.

Caroline, que Marie-Louise employât tous les moyens humainement praticables pour rejoindre l’empereur, que, si on la retenait prisonnière, eh bien ! elle attachât les draps de son lit à la fenêtre et s’échappât déguisée. « Voilà ce que je ferais, ajoutait Caroline ; quand on est mariée, c’est pour la vie ! » — Qui aurait attendu d’elle cette leçon de vertu conjugale ?

Si Marie-Louise n’écouta point des conseils qui contrariaient toutes ses idées d’obéissance filiale et de décorum princier, il paraît du moins qu’elle accorda quelques regrets sincères à la France et à l’empereur. M. Meneval le laisse entendre, et nous sommes heureux de le croire, car ce serait un enseignement trop cruel, une désillusion trop complète que de voir entièrement méconnus par cette timide et glaciale fille des Hapsbourg le rôle éclatant et l’époux merveilleux que le destin lui avait un instant donnés.

Les lettres de Porto Ferraio ne manquaient pas. L’empereur écrivait ou faisait écrire à M. Meneval pour dissuader Marie-Louise d’aller aux eaux d’Aix en Savoie, qu’il savait lui avoir été prescrites. Il la voulait en Toscane, moins près de la France, qui ne devait pas voir, pensait-il, cette ruine vivante, moins exposée à l’insulte, plus rapprochée de Parme, où elle allait régner encore, et de son fils, dont elle ne devait pas se séparer. Mais Napoléon n’était plus obéi, même de Marie-Louise, et, sans tenir compte de sa volonté, elle allait en Savoie, où devait d’abord l’accompagner le prince Nicolas Esterhazy, désigné par l’empereur François. Plus tard, M. de Metternich modifia ce choix et choisit un homme plus disposé au rôle qui devenait nécessaire : M. de Neipperg, qui commandait une division autrichienne aux environs de Genève, fut choisi pour recevoir à Aix celle qui s’appelait alors la duchesse de Colorno.

La première vue ne fut point favorable à l’émissaire de M. de Metternich. Neipperg, brave soldat, portait sur son visage martial les rudes empreintes de la guerre. Un bandeau noir cachait la cicatrice profonde d’une blessure qui l’avait privé d’un œil. Mais sous cet aspect militaire qui semblait promettre la franchise et la droiture, le général autrichien cachait une de ces ames dociles, un de ces esprits insinuans et souples que les diplomates aiment à trouver autour d’eux. Son abord était circonspect sans affectation, grave et empressé tout à la fois. Quoique bon musicien, il savait écouter, et ses manières n’avaient rien que d’insinuant et de flatteur. S’exprimant avec grace, et dans la conversation et dans ce qu’il écrivait, il cachait beaucoup de finesse sous des dehors très simples. Plein d’ambition et de vanité, jamais il ne parlait de lui-même. Tels sont les principaux traits de ce personnage, étudié par M. Meneval avec une perspicacité quelque peu hostile.

Son premier soin, quand il eut surmonté la défaveur d’instinct que lui avait témoignée l’impératrice, fut de la déterminer à suivre les conseils ou plutôt les injonctions qui lui venaient de Vienne. Parme et Plaisance avaient été assurées à la princesse par les traités de 1814 ; mais on voulait, autant que possible, retarder sa prise de possession et tout d’abord l’ajourner après