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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/872

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REVUE DES DEUX MONDES.

comme M. Meneval lui montrait inévitable, dans telle ou telle hypothèse, la nécessité qui la ramènerait en France, elle lui répondit, non sans quelque vivacité, que « son père lui-même ne saurait l’y contraindre. »

Et quelques jours après, le général Neipperg lui ayant annoncé d’Italie la révolte de son régiment des gardes, qui refusait de marcher contre les Français, on vit cette calme princesse sortir tout à coup de son caractère et traiter de rébellion la sympathie témoignée à son époux. À ses yeux, le cri de vive l’empereur ! était devenu criminel.

C’est ici que s’arrête, à proprement parler, le livre de M. Meneval, livre curieux, quoiqu’il porte la trace de plus d’une réticence, et que l’auteur, homme sincère et droit s’il en fut, n’ait pas toujours le courage de jugement que sa tâche rendait nécessaire. L’impression qu’on en garde est accablante pour Marie-Louise, et certes, elle ne s’affaiblit point lorsqu’on jette un coup d’œil rapide sur la suite de cette carrière, où elle entrait à peine en 1815. Rival indigne de Napoléon, Neipperg, on le sait, a eu de son vivant et après sa mort des rivaux heureux à leur tour et pris dans des rangs toujours inférieurs. En présence d’une chute aussi profonde, d’un abaissement aussi complet, l’indignation devient impossible. Le mépris lui-même et ses armes acérées cherchent en vain la place d’une blessure vengeresse sur ces corps apathiques, d’où semble s’être retirée toute noble émotion, toute sensibilité, toute vie. N’ayons donc ni colère, ni haine, ni mépris, pour ces semblans d’êtres, ces natures avortées. En revanche, ne leur sachons aucun gré d’être comme s’ils n’étaient pas. Dans le sol froid et stérile où ils sèment l’inanité, l’oubli seul, l’indulgent et paresseux oubli, doit germer pour eux. C’est leur lot, c’est leur désir. La conscience de leur faiblesse leur fait chercher l’ombre et la paix. En leur accordant le silence, ménageons-leur le soleil.


O. N.