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et honorables qu’en soient les membres, quelque louables que soient leurs intentions et leurs efforts, ils ne pourraient pas suffire long-temps à la tâche qu’ils ont eu le courage d’entreprendre. Ils ont rendu un grand service à leur pays, ils ont, pour ainsi dire, comblé, à leurs périls et risques, une lacune qui pouvait devenir un abîme ; mais cet expédient ne pourrait pas se prolonger six mois sans que le vide reparût plus menaçant encore qu’il n’était, et Dieu sait quels nouveaux malheurs seraient réservés à l’Espagne.

Nous ne pouvons nous empêcher de croire que la faiblesse de la situation actuelle tient en partie à la demi-mesure qu’on a prise au sujet de la majorité de la reine. La reine a été à la fois déclarée majeure et laissée en état de minorité jusqu’à la réunion des cortès. Or, certes il y avait quelque hardiesse à déclarer la reine majeure ; cela fait, l’exercice du pouvoir royal n’était plus qu’une conséquence. C’est en prêtant formellement et sur-le-champ le serment que la constitution lui impose, sauf à le renouveler plus tard devant les cortès, que la royauté aurait donné une base solide au gouvernement provisoire. Le ministère aurait alors été le ministère de la reine. Les sentimens monarchiques des Espagnols et la conviction générale de la nécessité de la mesure auraient facilement couvert la petite irrégularité d’une anticipation de quelques mois dans l’exercice de l’autorité royale. On ne pouvait pas demander à la reine, comme on l’a pu au cabinet Lopez, d’où lui venait le pouvoir qu’elle aurait exercé. Le pouvoir de la reine, nul ne le conteste ; la jouissance lui en est acquise ; l’exercice seul en était suspendu pour quelques mois encore.

Quoi qu’il en soit, les amis de l’Espagne attendent avec impatience la prochaine réunion des cortès. Le sort de l’Espagne est maintenant entre les mains des électeurs. Si les élections répondent aux vœux des hommes modérés et concilians de toutes les nuances d’opinion, si les cortès se trouvent en grande majorité composées d’hommes éclairés, voulant résolument la monarchie et la liberté, la reine Isabelle et la constitution, rien ne sera perdu ; les derniers troubles de l’Espagne ne tarderont pas à s’apaiser d’eux-mêmes, comme les flots d’une mer que l’orage n’agite plus.

Et alors les Espagnols pourront discourir sans inquiétude de la réception qu’Espartero a trouvée en Angleterre, et de la conduite de l’ambassadeur de la reine d’Espagne à Londres. Le diplomate regrettera peut-être un jour les influences auxquelles il a dû céder. Quant au gouvernement anglais, il a tout simplement voulu mettre toutes les chances de son côté. La chute d’Espartero devient-elle définitive, irrévocable ? Espartero passera de mode comme tant d’autres avant lui, et le gouvernement anglais commercera à nouveaux frais avec le gouvernement espagnol, bien certain que celui-ci ne demandera pas mieux que de vivre en bons termes avec la Grande-Bretagne. Une contre-révolution, à la vérité plus qu’improbable, relèverait-elle Espartero ? L’Angleterre pourrait compter sur un dévouement que la reconnaissance rendrait encore plus actif. Ajoutons que le gouvernement anglais à intérêt à prouver