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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’il n’abandonne pas ses amis. C’est de la bonne politique. Même en la réduisant en chiffres, elle vaut en définitive plus qu’elle ne coûte.

Si on en croit quelques feuilles étrangères, des troubles auraient éclaté dans les légations, et des escarmouches auraient eu lieu entre une cinquantaine d’insurgés et quelques soldats du pape. Selon la coutume des gouvernemens absolus, on ne s’applique qu’à cacher la vérité, et on laisse ainsi le champ libre à toutes les conjectures et à toutes les exagérations. Le fait qu’on annonce est si étrange, la pensée que l’un ou l’autre des gouvernemens de la péninsule pourrait être aujourd’hui impunément renversé par quelques centaines d’insurgés, est si ridicule, qu’on a peine à ajouter foi à ces récits. Peut-être s’est-on empressé de donner une couleur politique à quelque affaire de contrebandiers ou à quelque association de malfaiteurs.

Si la nouvelle est vraie, on ne saurait assez déplorer et condamner de semblables manifestations. Dans quel but ? avec quelle espérance ? avec quelle utilité ? Que les patriotes italiens désirent de meilleures destinées pour leur pays, c’est leur droit, nous sommes loin de leur en faire un reproche ; mais comment imaginer que ces désirs puissent se réaliser en l’an de grace 1843 ? Il faudrait, pour cela, n’avoir pas la moindre idée de la situation générale de l’Europe, de ses tendances et de sa politique. L’Europe, l’Europe tout entière, sans en excepter un seul pays, un seul gouvernement, veut la paix, la paix avant tout, la paix même au prix de ce qui aurait été à d’autres époques une cause à peu près certaine de guerre. Qu’on jette les yeux sur une carte, et on sera forcé de le reconnaître. L’Italie, la Belgique, l’Espagne, l’Orient, que sais-je ? tout aurait été un motif, une occasion, un prétexte de luttes sanglantes et opiniâtres. Rien de pareil hier, encore moins aujourd’hui, encore moins demain. Il n’y a plus en Europe de noblesse, de chevalerie, de soldats de profession aimant la guerre pour la guerre, pour la gloire, pour les conquêtes. Quelque nom qu’ils se donnent, il n’y a plus aujourd’hui que des propriétaires, des marchands, des travailleurs, c’est dire des gens qui calculent, qui aiment la paix par goût et par intérêt, et qui ne feront la guerre qu’à bon escient, lorsqu’elle leur paraîtra indispensable, qu’elle leur offrira des chances magnifiques, ou que la paix sera décidément une infamie. Nous avons vu la guerre, la grande guerre, les marches, les contre-marches, les pays dévastés, les cités brûlées, les contributions, les pillages, les représailles, les ports déserts, les familles en deuil. Disons-le, nous en étions médiocrement affligés ; notre douleur n’était pas inconsolable, car, nous aussi, nous avions appris à dire : C’est la guerre. C’est que nous étions nés avec la guerre, élevés au milieu de la guerre, et qu’à peine avions-nous connu quelques jours d’une paix fort vacillante, incertaine. Aujourd’hui, c’est la paix qui élève et qui inspire les nouvelles générations. Et quelle paix ! une paix sûre d’elle-même, réelle, féconde, qui prodigue à pleines mains ses trésors sur tous les peuples, qui les instruit et les éclaire, qui en rend les relations réciproques plus intimes, les intérêts communs plus considérables, les mœurs