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REVUE. — CHRONIQUE.

suivait Callimaque et Philétas ; de sorte qu’Euphorion a eu le malheur de périr deux fois : par lui-même et avec Gallus.

Bizarrerie de la gloire ! Dans cette mêlée injurieuse des temps, combien est-il de ces anciens poètes, Panyasis que les critiques plaçaient très haut à la suite d’Homère, Varius qu’on ne séparait pas de Virgile, Philétas que Théocrite désespérait jamais d’égaler, Euphorion avec son Gallus, combien, et des meilleurs et des plus charmans, qui ont ainsi succombé sans retour, et n’ont laissé qu’un nom que les érudits seuls remuent encore parfois aujourd’hui !

Il est facile, à présent qu’ils ont péri, de venir dire qu’ils méritaient sans doute assez peu de survivre ; que les meilleurs, après tout, et les plus dignes, ont surnagé et nous en tiennent lieu ; que ces poètes d’une seconde époque devaient en avoir bien des défauts qui les rendent médiocrement regrettables, le raffinement, l’obscurité, le néologisme. Ces éternelles accusations ne manquent pas. Il semble qu’une loi fatale asservisse les talens des diverses littératures aux mêmes phases. Mais de ce que Properce est érudit et quelque peu difficile à entendre par endroits jusqu’au sein de la passion, la perte de ses étincelantes élégies serait-elle moins pour l’homme de goût une calamité littéraire ? On sait les défauts de Southey, de Wordsworth, de tous ces alexandrins modernes, épiques et lyriques ; se résignerait-on aisément à les retrancher tous ensemble, à les rayer d’un trait ? Qu’on ose un peu essayer par la pensée, dans une littérature moderne, des effets analogues à ceux de la grande catastrophe qui a sévi sur l’antiquité et qui l’a plus que décimée, on s’arrêtera avec effroi. On ne se montre si coulant à l’égard des pertes incalculables de ce premier héritage, que parce que désormais on se croit soi-même et les siens à l’abri.

L’antiquité, telle qu’on se l’est faite par nécessité et telle qu’elle est résultée graduellement de nos pertes, ne peut être qu’une antiquité approximative. Le palais le plus riche et le plus magnifiquement rempli a été pillé, dévasté par l’incendie et par les barbares. Lorsqu’on y est rentré après des siècles, on a relevé celles des statues brisées qui jonchaient encore le parvis ; on a recueilli les débris reconnaissables, on a tiré parti des moindres parcelles : le palais est remeublé à l’œil ; les lacunes sont, tant bien que mal, dissimulées. Là où il y avait dix statues rivales dans une même salle resplendissante, une seule debout brille encore, et, pour faire oublier les autres, elle occupe le milieu. C’est bien, c’est beau, un air de simplicité vient à propos s’ajouter à l’artifice ; mais qui osera dire que c’est là exactement le premier palais ?

Quelques écrits ont hérité avec bonheur de ceux que la ruine a engloutis ; quelques noms glorieux, plus nettement dessinés, et répétés sans cesse, sont devenus pour nous la représentation et comme le symbole subsistant des autres à jamais perdus en eux. Pour peu qu’on regarde de près dans l’antiquité, on est frappé de tout ce qu’elle contenait de divers, de ce qu’elle cumulait déjà depuis des siècles avec une sorte d’encombrement. On sait que