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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/894

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REVUE DES DEUX MONDES.

Dorothée. — Sois la bienvenue, mère.

Gherarda. — Et toi, bénie sois-tu, mon ange, bouquet de fleurs, image de l’élégance, type de la beauté !

Dorothée. — Quoi ? des complimens ! des douceurs ! tant de douceurs !

Gherarda. — C’est que je n’ai jamais entendu de ta bouche un salut si gracieux. Tu me reçois toujours avec un visage autre que celui que Dieu t’a donné. Oh ! quel visage ! que Dieu en soit béni ! Laisse-moi donc, mon ange, laisse-moi t’en donner encore de ces douceurs, laisse-moi t’en rassasier. Ô prunelle des yeux de l’amour ! Oui, fillette, prends-lui son arc, au bambin, et de la corde donne-lui bien les étrivières. Comme il est nu, tu n’auras pas la peine de lui ôter ses chausses. De quoi ris-tu ? Ne va pas te le figurer comme un homme, comme un de ces grossiers vauriens qui fréquentent le Manzanarès, et là, en présence de tout le monde, se mettent en état de nature comme une procession de flagellans. Quand j’avais un mari, il ne me permettait pas d’aller à ces sortes de passe-temps, et je me suis fait alors les bonnes pratiques que j’ai gardées. Je m’en vais aux hôpitaux, j’y porte des biscuits et ma jarre pleine, ne manquant jamais de déguster le vin sous la porte cochère, pour qu’il ne fasse de mal qu’à moi, s’il est par hasard trop nouveau. Chaque fois que j’entends chanter la romance : l’Amour m’a laissé fuir, il me souvient de la rivière de Madrid et de ses aventures de juillet. On pourrait, certes, bien mettre sur les bains qui s’y prennent une taxe que les yeux malhonnêtes paieraient volontiers.

Dorothée. — Les femmes peuvent bien, ô mère, aller dans des endroits où il n’y ait pas d’hommes, ou même, là où il y en a, passer honnêtement et sans voir.

Gherarda. — Que veux-tu, mon enfant ! nous avons dans l’imagination je ne sais quoi qui, quand nous ne voulons pas regarder, nous dit : Regarde, regarde donc ! Mais j’oublie à te voir les douceurs que je voulais te dire encore ; je ne saurais t’en dire tant que tes beautés n’en demandent davantage. Oh ! que cet habit te va bien ! oh ! que volontiers chacun se rendrait frère dans cet ordre-là ! Certes, si Cupidon te voyait, il ne dirait pas ce qu’il dit à Vénus, quand elle voulait se faire religieuse à Rome dans le temple de Vesta : Oh ! si j’étais moine, ma mère, si j’étais moine !

Dorothée. — Chère Gherarda, je suis bien triste.

Gherarda. — Tais-toi, petite sotte, petite poltronne, qui embrases le monde avec la neige de ce vêtement, partagé par ce scapulaire azur, comme le ciel par la zone des signes ! Que crois-tu que je t’apporte-là ? Regarde, regarde ce joli vase ; vois ce Cupidon, ce petit assassin. Prends-le et fouette-le ; il le mérite bien pour tout le mal qu’il t’a fait. Mais, par la vie de mon confesseur, tu ne l’auras pas de si tôt : il faut auparavant que tu me donnes quelque chose.

Dorothée. — Qu’il est gentil !

Célie. — Laisse voir, dame.