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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/910

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REVUE DES DEUX MONDES.

Fernando. — D’homme d’honneur.

Philippa. — Et comment vous trouvâtes-vous du voyage ?

Fernando. — Triste à mourir. À chaque pas que je faisais, je me retournais ; mais, l’honneur triomphant à son tour, je poursuivais mon chemin, jusqu’à ce qu’ainsi, toujours tombant et toujours me relevant, j’arrivai à Séville.

J’omets beaucoup de passages qu’il ne tiendrait qu’à moi de présenter comme des traits saisis d’après nature, et non tracés d’imagination. J’arrive à la fin de la scène, à la partie où s’accomplit la réconciliation des deux amans : c’est le morceau le plus dramatique de la pièce.

Philippa. — Pourquoi, durant votre absence, n’avez-vous point cherché à savoir des nouvelles de Dorothée ?

Fernando. — J’en ai eu plusieurs fois l’idée.

Philippa. — Pourquoi ne l’avoir pas fait ?

Fernando. — Je voulais que Dorothée pensât à moi, ce qu’elle n’aurait pas fait, si je lui eusse écrit.

Philippa. — Mais ne valait-il pas mieux qu’elle pensât que vous l’aimiez ?

Fernando. — Non, puisqu’elle m’a oublié.

Philippa. — D’où le savez-vous ?

Fernando. — De ce qu’elle est femme.

Philippa. — Ce n’est pas là le propos d’un homme sensé : toutes les femmes ne sont pas inconstantes, pas plus que tous les hommes ne sont fidèles.

Fernando. — Moi seul, j’ai assez de constance pour le reste des hommes.

Philippa. — Et Dorothée pour le crédit des autres femmes.

Fernando. — Comment peut-on parler d’elle ainsi quand on ne la connaît pas ?

Philippa. — Aux marques que vous m’avez données, je la tiens pour la même personne dont une amie m’a raconté que, la nuit même du jour où partit un cavalier que je crois être vous, elle voulut se tuer de désespoir, ce qui la mit durant plusieurs jours en grand péril.

Jules. — Tu pourrais bien en effet, mon cher maître, te persuader que Dorothée n’était pas de marbre, comme il aurait fallu qu’elle le fût, pour ne pas ressentir la cruauté avec laquelle tu partis. Souviens-toi de tout ce que tu lui coûtes de vie, d’ame et d’honneur ; songe qu’il y a méfait à rejeter les biens qui nous viennent de l’amour.

Fernando. — Tu dis vrai, Jules : ma jeunesse m’a induit en erreur ; j’aurais pu être cause de la mort de Dorothée, j’aurais pu priver la nature de sa plus grande merveille, et le monde de ce qu’il a de plus beau. Pardonnez-moi, madame, je vous en supplie ; je ne puis plus contenir les larmes dont mon cœur et mes yeux sont inondés.