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REVUE DES DEUX MONDES.

Dorothée. — Les vrais amans sont comme les Allemands : de là où ils ont mis le pied, personne ne les repousse.

Fernando. — Et les dames fidèles sont comme les Catalans, qui perdraient mille vies plutôt que leurs fueros.

Dorothée. — J’ai lu dans un livre de fables : Hercule et Antée, le fils de la Terre, luttèrent une fois l’un contre l’autre ; Hercule tenait Antée en l’air, mais dès qu’il revenait à toucher la Terre, celui-ci recouvrait ses forces, et en recouvrait d’autant plus qu’il en avait perdu davantage.

Fernando. — Que veux-tu dire par-là ?

Dorothée. — Que l’intérêt, invincible géant, luttant près de moi contre l’amour, celui-ci, si tu eusses été présent, aurait recouvré de nouvelles forces pour ma défense toutes les fois qu’il eût jeté les yeux sur moi ; mais, quand tu es parti, quand tu m’as laissée sans secours entre les bras d’Hercule, qui mérite d’être accusé ?

Fernando. — Vous êtes étranges, vous autres femmes ! Vous nous outragez, et puis vous nous imputez les outrages que vous nous avez faits.

Dorothée. — Mon amour ne t’a pas outragé.

Fernando. — Et les amours ?…

Dorothée. — Je fus contrainte.

Fernando. — Don Bela n’était pas un roi.

Dorothée. — Il y a de l’autorité ailleurs que chez les rois.

Fernando. — Celle des mères, sans doute ?

Dorothée. — Et quelle autre plus grande ?

Fernando. — Charmante obéissance !

Dorothée. — Les premières violences furent exercées sur mes cheveux, et vous fûtes tous contre moi, ma mère par des cruautés, Gherarda par des séductions, toi en m’abandonnant, et un cavalier discret en tâchant de me persuader.

Fernando. — Un cavalier discret, Dorothée ? Allons-nous-en, Jules, ou nous allons entendre un panégyrique.

Jules. — Ne te lève pas ainsi en fureur ; elle ne t’en a pas donné de motif.

Fernando. — Don Bela est un sot.

Philippa. — La voilà qui a tout brouillé de nouveau… Pourquoi nommer ce Bela ? pourquoi le traiter de discret ?

Dorothée. — Pour excuser ma faute par ce qui devait le moins exciter la jalousie de Fernando : je n’ai point dit qu’il eût de l’esprit, ni qu’il fût bel homme.

Philippa. — Eh ! mais, seigneur Fernando, il faut pourtant bien que don Bela soit passable en quelque chose.

Fernando. — Qu’il ait de l’argent, qu’il ait de l’or et des diamans, qu’il ait de la naissance, mais non de l’esprit, non de la taille.

Dorothée. — Je le déclare un imbécile et le plus laid personnage du monde.