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REVUE DES DEUX MONDES.

L’action se renoue à la scène cinquième entre Gherarda et Theodora, qui s’entretiennent de l’absence de Philippa et de Dorothée, non encore revenues de leur expédition au Prado ; Dorothée et Philippa reparaissent durant cette scène, qu’elles animent un peu par quelques reproches reçus et rendus. La scène septième est un peu plus intéressante, bien que peut-être plus défectueuse sous le rapport de l’art. C’est Marfise qui y figure. Marfise ne savait rien encore du retour de Fernando à Madrid ; elle vient de l’apprendre par hasard d’un tiers, qui lui a donné en même temps la copie d’une pièce de vers en l’honneur de Dorothée. Blessée au dernier point de se voir ainsi négligée, elle se rend avec sa suivante chez Fernando pour lui faire d’amers reproches de sa conduite, et c’est à sa porte que celui-ci la rencontre, comme il rentrait chez lui. Il est important, pour la moralité de la pièce, de bien savoir le moment précis de l’action où cette rencontre a lieu. Or, le lecteur n’a guère qu’une conjecture à faire à cet égard ; il doit supposer que Marfise et Fernando se rencontrent au moment où celui-ci vient de quitter Dorothée, après les premiers transports de leur réconciliation. Quoi qu’il en soit, Marfise adresse de dures paroles à Fernando, qui essaie d’abord de se défendre par des mensonges, mais qui enfin, touché d’un sentiment plus honnête, l’exprime avec vivacité et sincérité.

Marfise. — Infame ! pour qui les as-tu écrits, ces vers ? Pour qui ? sinon pour Dorothée, pour ta belle dame, celle de l’habit blanc et du scapulaire bleu d’azur, celle du riche Indien auquel elle t’a sacrifié, comme il était juste. Oui, c’est celle-là dont la loyauté, dont la constance et le désintéressement méritaient de telles marques de tendresse ! C’est pour être jalouse d’elle que moi, simple et stupide créature, moi, femme sincère, j’ai donné mon innocence et mon or ! Ô nobles femmes ! n’allez pas vous figurer que vous méritiez l’amour de pareils hommes ; ce n’est point la vertu, ce n’est point la modestie qui les captive : ce sont les perfidies, les offenses, les prétentions jalouses, les contradictions et les dédains ! C’est là ce qui excite leur amour, c’est par là qu’ils atteignent à leurs fins, c’est pour cela qu’ils ont des aventures, qu’ils tuent bravement des hommes, qu’il leur faut éviter la justice, fuir de Madrid, courir à Séville ! Oh ! maudites soient mes pensées et ma constance ! maudit soit tout ce que j’ai souffert pour toi de la part de mes oncles !…

Jules. — Les larmes ne l’ont pas laissé achever Que ne lui parles-tu ? que ne la consoles-tu ?

Fernando. — Oui, Marfise, tu as raison, je le reconnais, je l’avoue. Honteux, confus et repentant, je me jetterais à tes pieds et je te donnerais cette épée pour m’en percer cent fois le cœur, si nous n’étions pas ici dans la rue. Entre, mon vrai bien ; en dépit de mes déplorables extravagances, tu seras mon unique amour, ou je ne serai plus qu’un être sans honneur, je ne serai plus le fils de mes pères ! Viens.

Marfise. — Non, Fernando, cela ne sera point, plus de moqueries. Tu m’as déjà coûté trop de larmes, déjà trop de peines, mon doux ennemi ! ma