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LES AMOURS DE LOPE DE VEGA.

patience ne tient pas contre tant d’outrages. Je te prie seulement, par notre commune éducation et au nom de cette tendresse avec laquelle je t’engageai une foi si mal récompensée par tes pernicieuses fantaisies, que si jamais tu obtiens des nouvelles de ce gage de ton amour exposé par la colère de mes parens, tu m’en donnes avis et l’autorisation de le garder avec moi. Adieu !

Il y a ici un trait à noter. Il n’est pas rare de trouver des enfans, légitimes ou non, dans les romans et dans les drames, mais on ne les y voit pas, comme ici, jetés à la hâte dans un recoin de la pièce, pour y être aussitôt oubliés : ils y font plus de figure.

Fernando. — Un moment, mon amie, un moment encore ! permets-moi du moins d’essuyer tes larmes.

Marfise. — Laisse-moi, ou je vais crier.

La scène continue entre Jules et Fernando.

Fernando. — Jules, que dis-tu de cette nouvelle mésaventure ?

Jules. — Je dis que j’ai grande pitié du mépris avec lequel tu as traité tant de mérite. Je reconnais l’amour que Dorothée a eu et qu’elle a même encore pour toi ; mais après tout Dorothée est à un autre, à un autre qui n’est pas un mari et qu’il faudrait endurer par force : or, c’est une grande honte d’être le second d’un galant.

Fernando. — Je prends à témoin le ciel, toute chose créée, toi, Jules, mon honneur, et ce peu de génie qui m’a été donné, de poursuivre auprès de tous ma vengeance sur cette Dorothée, dont je suis enfin dégagé, et de payer ma juste dette à Marfise !

Jules. — Seigneur, point de précipitation. Je te donnerai le moyen de faire que l’amour de Marfise triomphe de celui de Dorothée.

Fernando. — En voyant Dorothée soumise, mon amour s’est évanoui.

Jules. — Dis calmé, c’est assez.

Fernando. — Anéanti, te dis-je.

Jules. — Tes désirs satisfaits, tu peux penser de la sorte ; mais il est impossible qu’un amour aussi extrême se soit éteint si subitement dans la jouissance.

Fernando. — En revoyant Dorothée, je ne l’ai plus trouvée aussi belle que je l’imaginais absente ; elle n’était plus si gracieuse ni si spirituelle. Quand on veut nettoyer une chose, on la lave : j’ai été ainsi purgé de ma passion par les larmes de Dorothée. Ce qui me tuait, c’était de la croire amoureuse de don Bela ; ce qui me faisait perdre le sens, c’était d’imaginer qu’ils n’avaient, elle et lui, qu’un seul et même désir. Mais quand j’ai su qu’elle était contrainte et désolée, quand je l’ai entendue se plaindre de son tyran, maudire Gherarda, accuser sa mère, s’emporter contre Célie, me nommer son vrai seigneur, son premier et son seul amour, j’ai senti mon ame s’alléger de l’horrible poids qui l’accablait. Ce sont depuis lors d’autres