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choses que j’ai vues, d’autres paroles que j’ai entendues, si bien que, quand est venue l’heure de partir, il s’est trouvé que j’en étais plutôt impatient qu’affligé.

Il y aurait des observations graves ou piquantes à faire sur le plan et la marche de ce quatrième acte, et sur la disposition morale où s’y trouve à la fin le héros ; mais je m’en tiendrai au point essentiel, pour ne pas me perdre en des digressions trop subtiles. Le véritable dénouement, le dénouement moral du drame, c’est la rupture définitive de Fernando avec Dorothée, c’est son affranchissement spontané de la servitude amoureuse où il semble avoir perdu la raison et le sens moral. Or, au point où nous en sommes, ce dénouement est fort avancé ; il est décidé dans l’ame du héros ; il ne s’agit plus que de lui fournir l’occasion de se produire, avec plus ou moins d’effet, à la connaissance des personnages intéressés. Cette situation nouvelle offre toutefois une particularité dont il est difficile de rendre une raison satisfaisante : c’est la rapidité avec laquelle s’est opéré le changement de Fernando. En effet, pour oublier cette Dorothée qu’il aimait jusqu’à la démence, il ne lui a fallu que la revoir. Sa passion s’est éteinte brusquement dans les jouissances d’une réconciliation inespérée. C’est lui qui le dit, c’est lui qui le confesse, dans un moment où l’on peut bien soupçonner chez lui un peu d’exagération, mais non la feinte et le mensonge. Cela établi, il y a une contradiction formelle entre la fin du quatrième acte, où l’on suppose la conversion morale de Lope déjà effectuée, et le commencement du cinquième, où elle s’effectue réellement. Il n’y a qu’un moyen de faire disparaître cette contradiction, et, à vrai dire, le moyen n’est ni bien simple ni bien naturel : c’est de supposer que Fernando, impatient de se voir hors des fers de Dorothée, se fait un moment illusion sur ses sentimens actuels, et retombe le moment d’après sous le joug qu’il croyait brisé.

L’acte cinquième n’a pas moins de douze scènes, toutes plus ou moins spirituelles, mais toutes à peu près également dépourvues d’intérêt dramatique. Sans m’arrêter aux deux premières, qui sont purement épisodiques, je passe à la troisième, l’une des plus importantes de la pièce au point de vue où je me suis placé. Elle se passe entre Fernando et César, cet ami astronome ou astrologue qui a déjà figuré dans le quatrième acte. Voici cette scène abrégée de quelques traits insignifians.

Fernando. — Qu’êtes-vous devenu ces jours passés, César ?

César. — Je me suis absenté de la cour, et j’ai été en grand souci de vos brouilleries avec Dorothée. Où en sont-elles aujourd’hui ? Si les astres ne me trompent pas, il a dû se passer de terribles choses entre elle et vous.

Fernando. — Décidément, vous vous en rapportez là-dessus aux planètes ? Moi, je n’ai jamais pu y croire.

César. — Je vous en croirai encore mieux vous-même.

Fernando. — Eh bien ! plus d’amour pour Dorothée.