Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/922

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
916
REVUE DES DEUX MONDES.

Jules. — Je voudrais que tu ne fusses pas curieux de ce que tu ne crois pas…

César revient en effet, comme il l’a promis, apportant à don Fernando la prédiction que celui-ci a demandée. Cette prédiction remplit toute la huitième scène, sans se rattacher par le moindre rapport à l’action proprement dite, dont elle ne fait que suspendre et retarder un moment la conclusion. C’est de toute la pièce le passage qui en est, au point de vue de l’art, la licence la plus absurde, et qui en détermine le plus positivement le caractère et le but exceptionnels.

Fernando. — Quoi ! les évènemens annoncés par cette figure sont si tristes, que vous hésitez à me les dire ?

César. — Oui, si tristes… Cependant j’en parlerai, mais seulement par curiosité, en laissant de côté tout ce qui touche au respect dû à Dieu. Sachez, don Fernando, que vous serez cruellement persécuté par Dorothée et sa mère dans la prison où vous serez détenu ; au sortir de cette prison, vous serez exilé du royaume. Peu de temps avant cette condamnation, vous ferez la cour à une demoiselle qui se prendra d’amour pour vous et pour votre renommée ; vous contracterez avec elle un mariage qui satisfera peu vos parens respectifs, et elle vous accompagnera avec beaucoup de foi et de constance dans votre bannissement ; elle mourra au bout de sept ans, vivement regrettée par vous. Vous reviendrez alors à la cour, où vous trouverez Dorothée veuve, qui vous offrira sa main, mais inutilement, votre honneur pouvant plus sur vous que sa richesse, et votre vengeance étant plus forte que son amour.

Fernando. — Étranges destinées !

César. — Vous êtes en effet bien infortuné en amour ! Sachez que ce sera pour vous la cause de grandes traverses. Gardez-vous bien surtout d’une certaine personne qui tâchera de vous ensorceler ; mais, dans une autre condition que votre condition actuelle, vous pouvez échapper au péril à force de prières, et plaise à Dieu, Fernando, que vous vous comportiez de telle manière que votre volonté triomphe de vos étoiles ! Cependant je ne vous tiens pas pour sauvé si vous persistez dans votre projet de pousser à bout la jalousie de Dorothée, en vous donnant tout entier à Marfise ; car, bien que Juvénal ne le dise pas, il n’y a point d’animal, si sauvage soit-il, qui se complaise plus à la vengeance que la femme.

Fernando. — Je sais bien que la paix de mon ame exige que j’abandonne pour quelque temps ma patrie ; c’est pourquoi je projette de quitter les lettres pour les armes, dans cette expédition que notre roi prépare contre l’Angleterre. Mais, puisque vous avez prononcé le nom de Marfise, comment n’est-il pas question d’elle dans tous ces pronostics que vous venez de faire ?

César. — Je m’étonne de vous entendre demander avec tant de curiosité des choses auxquelles vous ne croirez pas en les apprenant.