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LES AMOURS DE LOPE DE VEGA.

Enfin, à la plus grande fête de l’année, je sortis paré de la chemise. Dorothée qui m’aperçut, ne pouvant de sa fenêtre s’assurer de la couleur des garnitures, descendit au milieu de la foule ébahie de l’éclat de sa parure, et vint à l’endroit où, avec d’autres amis, je me trouvais à la suite de Marfise et ne songeant plus guère à Dorothée. Vous rapporter notre explication serait vous fatiguer : elle parla avec jalousie, je répondis sans amour ; elle se retira honteuse, et je restai vengé, surtout quand je vis ses larmes, qui n’étaient plus des perles, retenues sous ses paupières, comme pour ne pas tomber sur ce visage qui n’était plus un mélange assorti du jasmin et de la rose.

César. — Je ne croirais pas cela d’une autre bouche que la vôtre. Et vous persistez dans l’amour de Marfise ?

Fernando. — De tout mon pouvoir. Elle a été le temple de mon refuge, et l’image au pied de laquelle j’ai imploré mon salut.

César. — Se peut-il qu’il ne reste en vous aucun vestige de l’amour de Dorothée ?

Fernando. — S’il en restait, ce serait quelque chose de semblable aux cicatrices des vieilles plaies.

César. — Prenez garde à ne pas vous laisser abuser par la satisfaction de la vengeance, et que votre blessure mal guérie ne se rouvre. Si vous revenez à Dorothée, songez bien qu’il n’y a pas de mal qu’elle ne vous fasse : vous serez pour elle une Troie, une Numance, une Sagonte.

Fernando. — J’y prendrai garde, bien que je ne pense pas que Dorothée puisse m’être aussi hostile, lors même que j’en viendrais à ce degré d’infortune.

César. — Et Dorothée n’a-t-elle pas fait de nouvelles démarches pour se réconcilier avec vous ?

Fernando. — Elle a réitéré les premières.

César. — Et que lui avez-vous répondu ?

Fernando. — Une lettre plus obscure que les vers de Lycophron, afin qu’elle la lût et ne la comprît pas, à peu près comme la poésie de ce temps-ci, que n’entendent pas ses propres auteurs. Faites-moi une grace, César.

César. — Je suis votre ami jusqu’aux autels ; en quoi puis-je vous servir ?

Fernando. — Construisez une figure astrologique, afin que nous voyions quelle issue pronostiquent ces évènemens.

César. — Les interrogations là-dessus sont prohibées, et rien de plus juste ; mais j’ai déjà un thème de votre naissance tout tracé, et il ne me reste plus qu’à l’examiner. Je m’en vais de ce pas chez moi, et, si je ne reviens vous voir ce soir, je serai ici sans faute demain matin…

Jules. — Puisque voilà César parti, à quoi bon donner dans ces pronostics, et si tu reconnais tout cela pour mensonger, pourquoi t’en informer ?

Fernando. — Parce que je suis du nombre infini des sots curieux qui brûlent de savoir. Mais, si je te dis que je n’y crois pas, que veux-tu de plus ?