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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/929

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LES AMOURS DE LOPE DE VEGA.

nous sous le nom de Dorothée, et qu’il va nommer Élise, sans qu’il puisse y avoir la moindre incertitude sur l’identité des deux personnages.

« Déjà le printemps ranimait dans les rudes troncs des arbres dépouillés leurs ames verdoyantes ; les oiseaux donnaient de la musique aux fleurs, et une fontaine babillarde contait leurs amours à la nuit, lorsqu’une nymphe cruelle de la verte forêt, une nymphe que j’aimais, et que puisse l’amour changer en écho, m’abandonna pour un autre oiseau plus grand et plus brillant. C’était un oiseau des bocages qui se dressent sur le Manzanarès comme des pavillons ombreux, un loriot, je pense, paré de plus riches plumes et de plus vives couleurs que moi, mais ne chantant pas si mélodieusement ses amours, bien que les chantant d’or. La nymphe se nommait Élise, et elle était si ravissante et si belle, que le soleil l’avait choisie pour son étoile. Je me vengeai d’elle en aimant Nise, Nise qui m’adorait, et pour laquelle je chantais tous les jours aussitôt que l’aube se levait entre ses deux sourcils. Elle, de son côté, pour satisfaire à son courroux, ordonna à un chasseur de me prendre dans ses filets. Il me prit, et, sans que j’eusse en rien failli, m’arrachant de mon nid natal, il me retint longuement dans sa prison, car jamais captivité ne fut courte ; et, comme il arrive parfois aux juges de se laisser tenter par la colère, par l’avarice ou la faveur, une vengeance d’amour travestie en justice vint à bout, par d’iniques imputations, de m’exiler de mes forêts et de mes prairies. Je pris alors en pleurant congé des bergers et des troupeaux, qui pleurèrent aussi, une fois surtout qu’ils m’entendirent chanter, avec plus de soupirs et de gémissemens que de paroles, cette chanson douloureuse : Pour cette fois seulement, etc. »

Si bizarre qu’il soit dans la forme, ce morceau ne laisse pas d’être précieux pour la biographie de Lope de Vega ; il n’est pas douteux que toutes les aventures chantées par sa Philomèle ne soient le récit allégorique, parfois suffisamment circonstancié, des siennes propres, et ce que je viens de traduire touche dans le vif à l’histoire de ses jeunes amours. La nymphe qu’il aime et qui le trahit ne peut être que Dorothée. Le loriot, cet autre oiseau de brillant plumage et qui chante assez mal ses amours, bien qu’il chante d’or, est la figure bien caractérisée de don Bela. Le premier mariage de Lope fut effectivement une espèce de vengeance qu’il tira de ce qu’il nommait la trahison de Dorothée. Ici comme dans le drame et dans l’appendice prophétique qui le termine, Dorothée est expressément désignée comme la cause immédiate de l’emprisonnement et de l’exil du poète ; elle se venge d’avoir été abandonnée pour Isabelle d’Urbina. Que cette imputation de Lope soit vraie ou non, je n’ai ni envie ni besoin de la garantir ; mais elle est grave, et Lope la répète sous deux formes très disparates et dans deux situations très distinctes : elle se rattache à l’évènement le plus fâcheux de sa vie, à son exil de sept ans ; il n’en faut pas tant pour la rendre très significative quand il s’agit de déterminer les rapports qu’il peut y avoir entre les ouvrages du poète et les accidens de sa vie. Enfin, il n’est pas jusqu’à ce congé que Lope dit ici