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MISÉ BRUN.

mettais en route, il s’est trouvé par hasard sur le chemin, et il m’a arrêté pour me demander où j’allais. Lui ayant répondu que je me rendais à Aix pour visiter mon fils, lequel tenait une des belles boutiques d’orfèvrerie de la ville, il m’a fait l’honneur de me dire : Parbleu ! cela se trouve bien ; j’ai quelques emplettes à faire, j’irai vous voir demain. Or, tu sens que je ne veux pas qu’il vienne pour trouver la boutique dégarnie ; tu iras le prier d’attendre ton retour.

— Tout de suite, mon père, répondit Bruno Brun, qui savait vaguement que le marquis avait une détestable réputation et des créanciers qu’il ne payait point, bien qu’il fût fort riche. Mais il n’eut pas le temps de faire cette prudente démarche, car au moment où il prenait son chapeau, Nieuselle entra dans la boutique, l’air suffisant, la tête haute, comme il avait coutume de se présenter partout.

— Bonjour, mon voisin, dit-il en donnant familièrement la main au vieux Brun, qui se confondait en témoignages de respect et se hâtait d’avancer une chaise ; bonjour. Vous voyez que je suis homme de parole ; au lieu d’attendre à demain, je viens aujourd’hui même.

— C’est bien de l’honneur pour moi, monsieur le marquis, répondit le digne homme ; mais je suis mortifié de vous montrer la boutique dégarnie comme vous la voyez. Nous venons d’emballer ce que nous avons de plus beau.

— Ah ! ah ! est-ce que vous quittez le pays ? vous ne m’aviez pas parlé de cela ce matin.

— Si vous aviez le temps de m’écouter, monsieur le marquis, je prendrais la liberté de vous expliquer la chose, répondit le vieux Brun.

— Parlez, parlez, dit Nieuselle en s’installant d’un air aisé et en affectant un ton de protection familière ; vous êtes un brave homme, mon voisin, et je m’intéresse à tout ce qui vous regarde.

Alors l’ancien orfèvre raconta comment son fils et sa bru devaient aller à Grasse tenir la foire de Saint-Michel. Nieuselle écouta cette explication avec beaucoup d’attention et de patience. Il conserva le plus parfait sang-froid à l’aspect de Madeloun, qui, l’apercevant tranquillement assis au coin du comptoir, recula de trois pas avec une figure irritée. Ce qu’il venait d’apprendre modifiait le projet qui l’avait amené chez l’orfèvre. Quand il fut suffisamment renseigné, il se retira fort content de sa visite et l’esprit préoccupé d’un nouveau plan non moins hardi ni moins ingénieux que celui qui avait si déplorablement échoué à l’auberge du Cheval-Rouge,

Depuis près d’une année, le marquis de Nieuselle nourrissait pour